Télétravail frontalier 2023 – les solutions

Télétravail frontalier - la nécessité d'un cadre clair pour voir à long terme.Télétravail frontalier - la nécessité d'un cadre clair pour voir à long terme.

Depuis des années, le télétravail frontalier est un dossier chaud avec des négociations entre la France et la Suisse et des échéances plusieurs fois reportées. C’est une source d’instabilité et de complications pour les frontaliers et leurs employeurs.

Depuis le 1er juillet 2023, on y voit enfin plus clair avec la règle des 40% du temps de travail en “home office” depuis la France. Quelle organisation pratique ? Quels points d’attention pour respecter la règlementation ? Comment préserver l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle ? Tous gagnants avec la flexibilité ?

 

Une décision chamboule tout

Depuis le passage de la pandémie, de nombreux frontaliers ont organisé leur vie professionnelle et familiale autour du télétravail. L’accord dérogatoire Covid ayant été plusieurs fois repoussé, l’organisation exceptionnelle de la période Covid est entrée dans les habitudes. Les longs trajets et le manque de flexibilité du travail frontalier rebute. Pourtant, depuis janvier 2023 pour le volet fiscal et juillet 2023 pour le volet social, de nouveaux accords permettent d’y voir plus clair. Les frontaliers doivent composer avec ces nouvelles règles entrées en vigueur.

Même constat pour de nombreuses entreprises suisses. Depuis les obligations Covid, elles ont dû se réinventer autour du travail à distance. Nouveaux outils et logiciels de télécommunications, nouveaux process liés au télétravail, culture de proximité par vidéo… autant de sujets qui ont changé leur manière de travailler.

C’est une remise en question qui leur a permis de traverser la crise Covid et qui a modifié leur fonctionnement. Aux USA, cela a contribué à la “grande démission”. Ce départ en masse d’employés ne s’est pas produit en Suisse … et si revenir aux anciennes règles déclenchait des décisions de départ ?

En tout cas, le risque est grand dans le contexte suisse de pénurie de travailleurs qualifiés. Les employeurs vont donc devoir trouver des solutions pour continuer à proposer le télétravail à leurs employés frontaliers tout en respectant la règlementation.

De nombreux frontaliers vont quitter leur emploi

D’ores et déjà de nombreux frontaliers vont devoir quitter leur emploi … ou venir s’installer en France voisine ou en Suisse.

Des programmeurs informatiques domiciliés en région parisienne employés par une entreprise de placement suisse pour travailler à distance pour des clients suisses ont indiqué perdre leurs contrats de travail. Leurs entreprises seraient en train d’étudier les alternatives conformes avec la règlementation : faire venir ces employés en France voisine ou créer une filiale en France.

Le secteur de l’IT n’est pas le seul, la fonction publique genevoise est aussi touchée. En début d’année 2023 les journaux ont beaucoup communiqué sur le cas de fonctionnaires domiciliés à des centaines de kilomètres de Genève. Bon nombre résidaient dans des régions éloignées de France.

Rappel des nouvelles règles sur le télétravail frontalier

Depuis le 1er janvier 2023, les travailleurs frontaliers peuvent télétravailler jusqu’à 40% de leur temps de travail depuis la France, sans que cela n’impacte leur fiscalité.

Pour un employé à 100%, cela signifie que le frontalier peut effectuer 2 jours maximum de télétravail depuis la France. Il doit donc venir travailler en Suisse 3 jours par semaine.

Concernant les cotisations sociales, depuis le 1er juillet 2023, les frontaliers peuvent télétravailler jusqu’à 50% de leur temps de travail depuis la France, en continuant de payer leurs cotisations sociales en Suisse.

L’employeur d’un frontalier qui télétravaille plus de 50% de son temps de travail dans son État de résidence devra verser l’entièreté de ses cotisations sociales dans cet État.

Pour éviter la charge administrative et financière supplémentaire en cas de dépassement de ces taux, les employeurs suisses pourront étendre le télétravail frontalier au minimum de ces deux taux, soit 40%.

En bref, les nouvelles règles du télétravail frontalier peuvent se résumer ainsi :

Pour éviter à l’employeur suisse les cotisations et la fiscalité française :

– Le télétravail frontalier est limité à 40%.

 

Helvicare dispose d’un calculateur simple et rapide pour déterminer combien de jours par année un frontalier en Suisse peut télétravailler depuis la France. N’hésitez pas à l’utiliser pour organiser au mieux votre temps de télétravail.

Calculateur télétravail frontalier
 

Les employeurs en première ligne

Dans les accords sur le télétravail frontalier, il n’est pas stipulé que les frontaliers n’ont pas le droit de télétravailler plus de 40% depuis leur État de résidence.

Cependant, il est vivement recommandé aux employeurs suisses de ne pas autoriser un taux de télétravail qui dépasse les 40%. En effet, les charges administratives françaises, les coûts économiques et les risques juridiques devraient dissuader l’ensemble des employeurs suisses.

Imaginons que Linda est une employée frontalière qui réside en France et qui travaille dans le canton de Genève. En cas de dépassement du taux de télétravail maximum autorisé son employeur devrait :

  • Effectuer toutes les démarches pour affilier son employé dans son état de résidence et participer à ses cotisations sociales française (bien souvent plus élevées qu’en Suisse)
  • Répertorier et contrôler le temps précis passé par son employé en France et en Suisse, afin de réunir des preuves en cas de contrôle.
  • Assumer les sanctions pénales en cas d’erreur.
  • Nommer un représentant fiscal en France pour renverser son impôt à la source. Or, cette obligation française est interdite en Suisse. La Suisse interdit une entreprise suisse de collecter l’impôt pour un autre pays. Ce paradoxe juridique expose l’employeur à de lourdes sanctions pénales.

En bref, l’employeur n’autorisera sans doute pas Linda à télétravailler plus de 40%.

Les employés attentifs aussi

Les employés qui peuvent continuer à télétravailler doivent rester attentifs. Directement ou indirectement, en cas de dépassement, ils seront redevables de l’impôt français sur les heures travaillées qui dépassent le seuil.

L’évolution des conditions de télétravail doit être scrutée par l’employeur et l’employé. Le suivi n’est pas l’affaire du seul employeur.

Huit Cantons sans imposition à la source

En Suisse, 8 cantons ont un accord fiscal particulier avec la France. Il s’agit des cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel, Jura, Berne, Bâle ville, Bâle campagne et Soleure. Les frontaliers qui y travaillent paient leurs impôts directement à l’administration fiscale française.

Depuis le 1er juillet 2023, ces cantons, tout comme le reste de la Suisse, doivent se plier au nouveau plafond “social” de 50% pour les télétravailleurs frontaliers. En effet, pour l’instant l’impôt de ces frontaliers va en France mais leurs cotisations sociales restent en Suisse. Si l’employeur laisse le frontalier dépasser le taux plafond de 50%, il devra verser les cotisations sociales à l’hexagone. Cela impliquera les charges et les risques que nous venons d’évoquer. Certains estiment que, dans ces cantons, le taux de télétravail frontalier est donc fixé à 50% soit 2.5 jours par semaine.

Or, l’accord sur le volet fiscal entre la Suisse et la France du 27 juin 2023 laisse entendre que ces cantons doivent également s’aligner sur la limite de 40%. C’est du moins ce que semble indiquer le communiqué français du 22 décembre 2022.

Source : https://presse.economie.gouv.fr/22122022-la-suisse-et-la-france-saccordent-sur-un-regime-fiscal-perenne-en-matiere-de-teletravail/

 
De même que le document « questions-réponses » du 27 juin 2023 de la Confédération suisse.

Source : https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/80212.pdf

 
Difficile pour l’heure de comprendre les implications d’un dépassement du temps de télétravail pour les frontaliers de ces cantons. Néanmoins, par mesure de sécurité, il convient de ne pas dépasser les 40 % de télétravail.

Merci à jeanguille du Forum Welcome-Suisse de nous avoir alerté sur ce point de l’accord.

Les contrôles et les justificatifs

Les risques indiqués s’ajoutent aux contraintes de confidentialité. Ils ont amené des banques privées à interdire purement et simplement le télétravail des frontaliers.

Pour les autres entreprises, pouvoir justifier de la présence sur le territoire Suisse pendant plus de 60% du temps de travail est de la première importance.

Les participants du Forum ont partagé les moyens mis en œuvre par leurs entreprises :

  • Tenir un registre pour comptabiliser le nombre de jours de télétravail
  • Modifier les contrats de travail
  • Scruter les situations de pluriactivité
  • Afficher le temps de télétravail sur le certificat de salaire

 

Un cas pratique de justification

En 2023 en Suisse, on considère 251 jours ouvrés. Pour un temps plein, 40% de 251 jours c’est un maximum de 100 jours de télétravail en France et de 151 jours de travail en Suisse.

Cependant, si on prend en compte les 5 semaines de congés payés, le calcul ne se fait plus sur 251 jours mais sur 226. Les 40% de 226 jours correspondent à 90 jours de télétravail en France et 136 jours de travail en Suisse.

Que dois-je justifier ? Les jours en France ? En Suisse ? à l’étranger (en cas de déplacement professionnel) ?

Réponse : les 3, semble-t-il. On se rappelle des difficultés du suivi des heures d’arrivées et de départ des employés lors de la récente évolution de la Loi fédérale sur le Travail (LTr) qui oblige le suivi des heures travaillées. A ce suivi des heures s’ajoute maintenant le suivi du lieu de travail.

La convention de télétravail

Des organisations patronales conseillent à leurs membres de faire signer une convention de télétravail. Ceci a l’intérêt de s’appliquer aux frontaliers et aux résidents.

Ne soyez pas surpris, si votre entreprise vous demande de signer le document suivant :

Modèle de convention de télétravail

Source : https://www.fer-ge.ch/web/fer-ge/w/mod%C3%A8le-de-convention-de-t%C3%A9l%C3%A9travail

Ce document peut être amélioré afin d’être plus clair. Par exemple, la partie consacrée aux horaires pourrait être divisée en deux :

  • Les horaires en France
  • Les horaires hors de France

 

Les voyages d’affaire – un point à éclaircir

Est-ce que les déplacements professionnels sont comptés comme du temps de travail en Suisse ou comme du temps de télétravail en France ?

Ce point n’est pas clair et les expériences entre les membres du Forum semblent diverger. Il semblerait que toutes les entreprises ne procèdent pas de la même manière.

Nous vous recommandons d’éclaircir ces points avec votre employeur avant de signer une éventuelle convention de télétravail.

Solution 1 : le coworking en Suisse

Les embouteillages sur les axes transfrontaliers, le manque d’infrastructure en transports publics sont souvent un casse-tête pour le frontalier. Les politiques publiques de dissuasion des trajets domicile-travail en voiture individuelle viennent encore contraindre ces déplacements.

L’un des points forts du télétravail frontalier c’est la réduction des trajets entre son lieu de vie et son lieu de travail. Cela permet d’économiser du temps, de l’argent et de l’énergie.

Pour répondre à cette problématique tout en respectant les nouvelles règles liées au télétravail frontalier, les employeurs peuvent proposer des accès à des espaces de coworking en Suisse proches de la frontière, au plus près du domicile du frontalier

Cela permet de limiter le temps de déplacement des frontaliers, tout en les amenant sur le territoire helvétique : venir en espace de coworking 3 jours par semaine et travailler en home office 2 jours par semaine. Cette solution n’est pas aussi flexible que 100% de télétravail. Elle permet néanmoins de respecter les nouvelles attentes des salariés et des employeurs tout en respectant les nouveaux règlements sur le travail à distance.

Solution 2 : Statut d’indépendant et télétravail

Pour continuer à travailler pour une entreprise suisse tout en télétravaillant depuis la France, des frontaliers mentionnent quitter leur statut de salarié suisse et devenir indépendant basé en France. Leur objectif est de proposer leurs services à leur ancien employeur suisse et à d’autres employeurs. La nouvelle règlementation devient l’opportunité pour eux de rejoindre une tendance qui avait débuté bien avant le Covid. Sauter le pas, devenir indépendant (freelance), travailler à son compte, en son nom et sous sa propre responsabilité.

C’est une décision lourde qui ne doit pas être prise à la légère. La perte du statut de salarié vient avec de nombreuses nouvelles responsabilités à l’indépendant et des particularités en matière de cotisations sociales (cotisation chômage, cotisation retraite etc…).

Attention, si l’indépendant cumule plusieurs activités (pluriactivité) et plusieurs statuts, le calcul des 60% et 40% se complexifie. Admettons qu’il soit indépendant en France pour 2 jours par semaine et qu’il soit salarié pour une entreprise suisse les 3 jours restants (ce cas est fréquent dans le secteur de la santé). Si l’entreprise suisse lui permet 1 jour de télétravail par semaine, cela représente 60% de son activité dans son État de résidence. En effet, ce sont 3 jours par semaine qui seront travaillés en France. Dès lors, cet employé dépasse le quota de travail en France. L’entreprise suisse devra payer les cotisations françaises sur l’ensemble du salaire versé.

Solution 3 : Le déménagement en France Voisine

Ces nouvelles règles pourraient inciter les travailleurs frontaliers à déménager en France voisine.

De nombreux scandales ont récemment éclaté, concernant des fonctionnaires genevois qui résident au Tessin, à Paris et même en Espagne. Disposant d’un pied-à-terre sur Genève, ils rentrent chez eux le week-end.

Des règles plus strictes sur le télétravail vont inciter les frontaliers qui habitent loin de leur lieu de travail à se rapprocher de la frontière, en habitant en France voisine. Se rapprocher permettra de faciliter le respect de la nouvelle règlementation, néanmoins les impacts organisationnels et financiers que cela implique (prix des logements etc …) ne vont pas faciliter ce changement.

Solution 4 : Le déménagement de l’employé en Suisse

La dernière solution consiste, pour l’employé, à venir habiter en Suisse. Passer du statut de frontalier à celui de résident suisse permet de conserver l’emploi en suisse sans subir les incertitudes du statut de frontalier.

Cependant, changer de pays a de lourdes implications administratives, budgétaires, organisationnelles. Notre article “Se loger en Suisse : location, colocation et sous-location” et la catégorie “où s’installer” du Forum donnent de précieuses informations pour les travailleurs frontaliers qui souhaitent résider en suisse.

S’adapter pour performer … et l’équilibre dans tout cela ?

Le flou autour du télétravail frontalier s’est un peu estompé depuis les nouvelles règles de janvier 2023. Les travailleurs frontaliers et leurs employeurs suisses vont s’organiser pour s’adapter à ces nouvelles mesures et à celles qui viendront en juin 2023.

Toutes ces solutions doivent être pensées sur le long-terme et rester valides en cas de nouvelle restriction en juin 2023. Les entreprises qui réussiront à s’adapter à ces nouvelles règles disposeront d’un avantage compétitif sérieux : un cadre organisationnel clair pour des postes plus flexibles. Les employés seront ils aussi gagnants quand la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle se gomme 40% du temps ?

Commentaires

  1. Pensez vous que l’accord dérogatoire sera de nouveau prolongé ?

  2. Avatar for Hibou Hibou says:

    Tu fais remonter le mauvais sujet (le moins lu et le moins pertinent et celui qui a un titre évocateur) et me cause une fausse bonne joie… Le sujet à remonter dès les nouvelles est celui là…

  3. Bonjour,

    Les prochaines semaines risquent d’être agitées pour les frontaliers. Alors que le volet social de l’Accord dérogatoire COVID a été reconduit jusqu’au 15 novembre, son volet fiscal devrait prendre fin dès le 30 septembre 2021.

    Nous venons de mettre à jour notre article Télétravail frontalier, fin des 25% ?

    Bonne lecture !

  4. Qu’est-ce que cela signifie si le volet fiscal n’est pas prolongé pour les frontaliers imposés en France ?
    Merci

  5. Avatar for 68300 68300 says:

    Suffit de lire l’article, tout est expliqué

  6. Merci pour cette réponse… j’ai bien sûr lu l’article et il parle de l’imposition en France pour les personnes imposées à la source en Suisse.
    Mon interprétation pour les frontaliers imposés en France est qu’après le 30 septembre il sera possible de télétravailler à 100% en France mais que nous devrons payer les cotisations sociales en France sur le temps dépassant les 25%. Mais c’est déjà le cas si le volet social des 100% n’est pas appliqué. C’est cela que je ne comprends pas. Pour moi ça ne change pas grand chose que le volet social soit prolongé.

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