Taxes américaines : l’économie suisse menacée ?

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Coup de tonnerre sur les marchés : la Suisse frappée d’une taxe douanière de 31 %

Le 2 avril 2025, une image fait le tour du monde : celle du président américain exhibant fièrement un tableau listant les nouvelles taxes sur les exportations vers les États-Unis. Médusés, les gouvernements et les citoyens du monde entier cherchent fébrilement la ligne correspondant à leur pays.

En Suisse, la nouvelle tombe comme un couperet : 31 % de taxe, applicable immédiatement. L’Union européenne s’en tire mieux, avec une taxe de 20 %. Comment expliquer que la Suisse, réputée pour sa diplomatie, sa neutralité et sa flexibilité, soit plus lourdement sanctionnée que ses voisins européens ? La surprise est de taille.

Partout sur la planète, c’est l’effervescence. Les capitales tentent de joindre en urgence l’administration américaine pour comprendre cette logique punitive, et surtout pour négocier. Très vite, un mot d’ordre se dégage : il faut parler le langage trumpien — celui du deal.

En quelques heures à peine, plus de 75 pays contactent Washington. Sous cette avalanche de réactions, le président américain annonce une suspension temporaire : 90 jours de répit, avec une taxe uniforme de 10 % pour tous. Un souffle de soulagement traverse les marchés… mais pas jusqu’à Pékin.

La Chine, elle, voit sa taxe grimper à 125 %. Pourquoi ? Parce qu’elle a osé répondre, en miroir, avec ses propres taxes. Pour Washington, c’est une faute grave. Une punition. Une leçon.

Cette séquence brutale agit comme un électrochoc. L’arbitraire des décisions, leur immédiateté, la logique de récompenses et de sanctions — tout cela révèle une vérité dérangeante : Les décisions américaines impactent profondément le monde et la Suisse.

La Suisse en première ligne : un choc pour l’économie helvétique

Faut-il s’inquiéter de ces taxes ? Pour les milieux économiques suisses, la réponse est claire : oui. Le coup est dur à encaisser. Les États-Unis représentent près de 20 % des exportations suisses, soit plus de 65 milliards de francs — c’est le deuxième marché d’exportation du pays, juste derrière l’Union européenne (40 % des exportations).

L’impact est donc potentiellement majeur. Selon une enquête d’EconomieSuisse, la moitié des entreprises exportatrices envisagent déjà une baisse de la demande. Les secteurs les plus exposés ? La medtech, l’industrie des machines, l’horlogerie et le textile. Des piliers de l’économie suisse, et souvent aussi des employeurs de premier plan pour les résidents et les frontaliers.

Mais l’effet des taxes ne s’arrête pas aux seules exportations. Une grande partie des entreprises suisses importent des composants ou sous-traitent une partie de leur production à l’étranger, notamment en Chine. Si ces partenaires doivent eux aussi payer plus cher pour accéder au marché américain, ils répercutent naturellement ces surcoûts sur leurs prix. Résultat : des hausses de coûts pour la Suisse, y compris pour les entreprises qui ne vendent pas directement aux États-Unis.

Autre source d’inquiétude : l’instabilité. Plus que les taxes elles-mêmes, c’est l’imprévisibilité des décisions américaines qui alarme les milieux économiques. Investir, se développer, recruter — tout cela demande un minimum de visibilité à long terme. Or, dans un climat où tout peut changer en un tweet ou une conférence de presse, les entreprises hésitent. Moins d’investissements, c’est moins d’emplois et moins de croissance.

Sur fond de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, ces tensions font planer une menace plus large encore : celle d’un ralentissement de l’économie mondiale. Et comme souvent dans ces cas-là, les économies ouvertes et exportatrices comme la Suisse risquent de se retrouver en première ligne.

La crainte d’un coup dur pour la Pharma suisse

Jusqu’ici, le secteur pharmaceutique suisse a échappé aux nouvelles taxes américaines. Mais pour combien de temps encore ? Dans une déclaration faite depuis son jet privé, le président américain a laissé entendre que l’industrie pharmaceutique pourrait bientôt, elle aussi, être soumise à des droits de douane.

Ce serait un véritable séisme pour l’économie helvétique. La Pharma représente, de loin, le secteur qui exporte le plus. En 2018, la Suisse a vendu pour 44 milliards de francs de médicaments à l’étranger. C’est plus de la moitié de nos exportations vers les Etats-Unis, soit 33.6 milliards. Si ce secteur venait à être ciblé par les Etats-Unis, les conséquences seraient bien plus lourdes que celles déjà évoquées pour l’industrie horlogère ou la medtech.



Face à cette menace, les géants de la Pharma n’ont pas tardé à réagir. Novartis, l’un des fleurons de l’économie suisse, a annoncé un plan d’investissement massif : 23 milliards de francs injectés aux États-Unis sur les cinq prochaines années. Objectif : renforcer sa présence locale pour continuer à accéder au marché américain, en produisant sur place, au plus près des consommateurs.

Une stratégie de contournement qui en dit long sur le nouveau climat international : pour survivre, les entreprises suisses devront peut-être s’américaniser. Une réalité qui inquiète autant qu’elle interroge sur l’avenir du modèle économique suisse.

Le mirage de la réindustrialisation américaine

Prenons un peu de recul pour comprendre la logique derrière ces taxes douanières. L’objectif affiché de l’administration américaine est clair : relancer la production nationale, réindustrialiser le pays et recréer des emplois. En taxant fortement les produits importés, les États-Unis espèrent pousser les consommateurs à acheter local, tout en incitant les entreprises étrangères à produire directement sur leur sol.
Sur le papier, le plan semble imparable. En pratique, les choses sont plus complexes.

Toutes les entreprises ne peuvent pas s’implanter à l’étranger aussi facilement. Certaines, comme les grands groupes du ciment ou de la chimie (à l’image de Holcim ou Lafarge), ont déjà une production largement localisée aux États-Unis. Pour elles, l’impact est limité. Mais d’autres secteurs, comme celui des machines-outils en Suisse, sont fortement enracinés localement. Ces entreprises reposent sur des décennies de savoir-faire, une main-d’œuvre formée en lien étroit avec les filières d’apprentissage et les hautes écoles, et un tissu industriel difficilement transposable ailleurs.

De nombreux dirigeants qui ont tenté de « copier-coller » le modèle suisse à l’étranger se sont heurtés à des obstacles logistiques, culturels et structurels inattendus. Et que dire du secteur du luxe et de l’horlogerie ? La production y est presque exclusivement suisse, et le « Made in Switzerland » n’est pas qu’une étiquette : c’est une promesse, une identité, une valeur ajoutée. Produire aux États-Unis reviendrait à brader cette image. Or, ironie du sort, les États-Unis sont aujourd’hui le premier marché d’exportation pour les montres suisses, devant la Chine.

À cela s’ajoute un autre problème, plus profond : l’anachronisme de la vision trumpienne. Le slogan « Make America Great Again » s’appuie sur une nostalgie des années 1960-1970, à une époque où les États-Unis disposaient d’une main-d’œuvre abondante, d’infrastructures solides et d’une industrie florissante. Mais le contexte a changé. Le pays fait face à un vieillissement de sa population et à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Il ne suffit pas de vouloir relocaliser pour y parvenir.

Par ailleurs, la recette de la prospérité américaine d’autrefois s’appuyait sur des investissements publics massifs, des protections salariales et une forte intervention de l’État dans l’économie. Une philosophie bien éloignée du programme actuel, qui mise sur le marché plus que sur la régulation.

Enfin, il y a la question de la productivité. La mondialisation, malgré ses travers, a permis des gains d’efficacité considérables. Réindustrialiser, cela revient à refaire soi-même ce que l’on faisait faire ailleurs — plus vite, et souvent à moindre coût. L’idée est séduisante sur le plan symbolique, mais dans la pratique, la perte de productivité est inévitable. Et rien ne garantit que les consommateurs américains acceptent d’en payer le prix.

Comme le rappelle Valérie Lemaigre, économiste en chef BCGE, il ne faut pas confondre réindustrialisation et défense des secteurs stratégiques. La première relève souvent d’une posture idéologique, parfois datée ; la seconde est un enjeu de sécurité et de souveraineté bien réel. L’Europe, elle aussi, a dû revoir ses priorités stratégiques — notamment après les déclarations américaines concernant l’Ukraine, laissant planer un doute sur la fiabilité de son allié transatlantique.

Quel avenir pour la Suisse ?

Le monde semble évoluer vers une forme de fragmentation géopolitique, où de grands blocs continentaux — les États-Unis, la Chine, l’Europe — se positionnent en concurrents directs. Dans cette nouvelle configuration, la Suisse, petit État au cœur du continent européen, ne peut plus se permettre de rester spectatrice.

Le débat européen, longtemps mis entre parenthèses dans les discussions helvétiques, devrait revenir au centre des préoccupations. L’Union européenne, malgré ses faiblesses, peut apparaître comme l’unique levier crédible pour établir un rapport de force face aux grandes puissances. À l’heure où les règles du jeu international sont remises en question, l’isolement helvétique pourrait se transformer en vulnérabilité. Et pour autant, la Suisse doit aussi, plus que jamais, miser sur ce qui a fait sa prospérité : l’innovation, le pragmatisme, la neutralité et la diplomatie internationale.

Face à la montée des tensions commerciales, la Suisse doit aussi diversifier ses marchés. Cela implique de cesser de diaboliser, de manière simpliste, les accords de libre-échange. Plusieurs traités sont actuellement en discussion, notamment avec l’Inde, les pays d’Asie du Sud-Est ou encore le Mercosur. Ces accords sont des outils indispensables pour assurer une certaine résilience économique à long terme.

Moins d’échanges commerciaux avec les Etats-Unis, une tendance à la dédollarisation des échanges internationaux, le multilatéralisme se retrouve orphelin. Cependant, même si cela est contre-intuitif, le désengagement américain va peut-être de pair avec une renaissance du multilatéralisme, mais sous une forme nouvelle. La gouvernance économique mondiale cherche un nouveau souffle, de nouvelles règles communes, dans un monde multipolaire, divisé en blocs continentaux.

Dans ce contexte, la Suisse a un rôle à jouer. En tant que petit État neutre, stable et expérimenté dans la diplomatie économique, elle peut contribuer à construire un multilatéralisme adapté à ce nouvel ordre mondial. D’autres s’y essaient déjà : Singapour se rêve en centre mondial de la finance climatique; Bruxelles se positionne en régulateur du numérique; Dubaï essaie de devenir un centre diplomatique de premier plan. La Suisse ne peut rester en retrait.

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Consultant en transformation digitale, en Assurtech et en crypto-économie. Diplômé d'un Master en Affaires européennes de l'Université de Genève.

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Commentaires

  1. Le 2 avril 2025, une image fait le tour du monde : celle du président américain présentant une nouvelle série de taxes sur les exportations étrangères. Parmi les pays concernés, la Suisse.

    C’est un choc pour les milieux économiques : alors que les États-Unis représentent l’un des plus grands marchés d’exportation pour notre pays, une taxe est désormais imposée sur de nombreux produits suisses, avec effet immédiat.

    Que signifie cette décision pour les entreprises helvétiques ?
    Et surtout, comment notre économie — très ouverte et axée sur l’exportation — peut-elle réagir dans un monde où les règles du commerce international semblent changer du jour au lendemain ?

    Notre dernier article revient en détail sur cette séquence géopolitique tendue et ses implications économiques pour la Suisse. De l’horlogerie à la pharma, en passant par la medtech ou l’industrie des machines, peu de secteurs sont à l’abri.

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