Le salaire minimum de 23 francs de l’heure (4’068 francs par mois pour 41 heures hebdomadaires) a été voulu par le peuple souverain du canton de Genève le 27 septembre 2020. Il est le produit d’une poussée politique de la gauche à Genève et d’analyses économiques.
Ses opposants dénoncent une intervention étatique sur le marché du travail. Cette politique de lutte contre les bas salaires et les abus peut-elle entraîner la hausse du chômage? sera t-elle neutre pour l’emploi ou sera t-elle bénéfique ? Qu’en est-il pour les frontaliers?
Alors que premier article de la série décrivait les salaires minimums des quatre cantons suisses, cet article se concentre sur les effets de la mesure.
Sommaire :
- Genève, 4ème canton, conclusions difficiles
- Partenariat employeur/employé sous pression
- Garantir un salaire décent
- SMIC = augmentation du chômage?
- Keynes et le salaire minimum
- Pas de consensus sur les effets
- Salaire minimum, égalité ou équité?
- Chiffres rassurants, réalités diverses
- Meilleure productivité individuelle et globale?
- Baisses de revenu au delà du minimum
- Salaire minimum et frontaliers de Genève
- Le Dossier : Salaires Suisse
Genève, 4ème canton, conclusions difficiles
Genève est le 4ème canton à appliquer le salaire minimum. Son économie est la plus importante de ces quatre cantons. Cela aurait eu le mérite de départager les effets positifs et les effets négatifs du salaire minimum dans le pays “des plus riches du monde” (598’410 USD de fortune par adulte). Mais la 2ème vague du Covid viendra polluer les analyses.
Au delà des commentaires, ce sont les faits qui vont perdurer ces prochains mois : les salaires les plus bas vont augmenter et les différences des basses rémunérations vont se réduire.
Partenariat employeur/employé sous pression
Les milieux économiques, des Libéraux, comme le Parti-Libéral Radical (PLR), et des supports habituels des petits entrepreneurs comme le parti MCG, voient dans l’introduction d’un salaire minimum une attaque frontale contre le partenariat social actuel. En effet, de nombreuses branches sont couvertes par une Convention Collective de Travail (CCT) qui établit déjà une rémunération minimale. Ils soulignent que la bonne santé de l’économie suisse s’appuie sur le partenariat employeur/employé. Ce n’est pas à l’Etat de fixer un SMIC mais bien aux partenaires sociaux de les négocier en fonction de la situation de chaque branche.
De son côté, le syndicat Unia, constate que la plupart de ces négociations aboutissent à des salaires compris entre 3’200 et 3’900 francs. Il juge que les conventions collectives ne permettent pas une progression de salaires significative. Ces conventions collectives ne s’appliquent pas à une petite moitié des travailleurs du canton et les dispositifs de lutte contre la sous-enchère seraient suffisants. La stratégie syndicale consiste à casser le statu-quo en déplaçant le combat du salaire dans l’arène politique, en en faisant un enjeux de votation.
Ce raidissement syndical genevois à l’encontre du partenariat employeur/employé s’exprime maintenant après la victoire. Le recours syndical en justice contre l’arrêté de mise en œuvre du Conseil d’Etat maintient la tension. Les syndicats genevois se mobilisent maintenant principalement sur les futures augmentations, l’indexation du salaire minimum. Le frontalier va trouver là des similitudes avec le paysage syndical français.
Garantir un salaire décent
Pour les défenseurs de la réforme, principalement situés à gauche, l’objectif de l’initiative n’est pas de nuire au système paritaires employé / employeur mais de compléter ses manquements, de reconnaître la valeur du travail. Cela passe par la garantie d’un salaire décent dans les domaines non couverts par une CCT et l’éradication les bas salaires. Ils soulignent que le Tribunal fédéral avait jugé que la réglementation cantonale à Neuchâtel ne porte pas atteinte à la liberté économique des employeurs.
Pour les partisans d’un tel changement, l’intervention de l’Etat peut se justifier lorsque le marché ne permet pas de préserver la dignité d’une partie des citoyens qui, en raison d’un salaire pas adapté au coût de la vie en Suisse, se voient dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins.
SMIC = augmentation du chômage?
Dans la perspective libérale, la productivité est un critère de rémunération des salariés. Un travailleur qui rapporte moins que ce que coûte le salaire minimum ne sera pas embauché. Avec pour conséquence, que le chômage se développe (1) voir Sébastien Grobon. Une exclusion du marché du travail qui, selon certains auteurs, toucherait en premier lieu les travailleurs faiblement payés et peu qualifiés (2) voir l’analyse de l’Organisation Internationale du Travail – OIT.
Le patronat craint que la hausse des coûts oblige les entreprises à la répercuter sur le prix des produits. Il n’est pas certain que les clients soient en mesure de toujours assumer cette hausse. Dans le secteur de la vente de biens, ils peuvent en effet être incités à faire leurs achats ailleurs comme en France voisine, ou alors à renoncer à certains achats ou prestations.
Keynes et le salaire minimum
Les économistes ne s’accordent pas pour faire le lien entre SMIC et chômage. A l’inverse des arguments développés plus haut, la théorie macroéconomique keynésienne nous rappelle que dans l’histoire, le salaire minimum a contribué à la création d’emplois en augmentant le pouvoir d’achat des ménages. L’augmentation de la consommation intérieure et de la demande globale a alors eu un rôle redistributif auprès des travailleurs à faibles revenus.
Néanmoins, les modèles Keynésiens n’ont plus le vent en poupe en raison de leur impact sur la dette des pays. Les gouvernements se sont davantage tournés vers la politique de l’offre qui trouve une certaine pertinence pour rendre le marché de l’emploi plus flexible. Cette approche a aussi des limites, elle crée des emplois précaires (contrats à durée déterminée etc.) qui peuvent fragiliser une partie de la population.
La recherche économique a plutôt tendance à estimer que la faiblesse des effets du salaire minimum sur l’emploi ne facilitent pas leur suivi statistique. La plus grande difficulté pour les travailleurs peu qualifiés de trouver un emploi est néanmoins reconnue par certains chercheurs.
Pas de consensus sur les effets
Pour l’OIT, des économistes estiment que l’implémentation simultanée de mesures comme des augmentations salariales inférieures pour les travailleurs mieux rémunérés, la réduction des marges bénéficiaires, l’amélioration de la productivité, ou encore une rotation de personnel limitée peuvent permettre d’atténuer les surcoûts liés au salaire minimum.
En Suisse, cette liste de mesures peut être difficile à mettre en oeuvre. Une économie globalisée positionnée sur sur une haute valeur ajoutée est obligée d’innover et donc à attirer des compétences rares (et chères). Elle doit préserver ses marges bénéficiaires pour investir et financer l’innovation. La pandémie rajoute encore une pression supplémentaire sur les marges de ses entreprises. Ne pas augmenter des salaires de cadres déjà élevés semble en revanche réalisable dans un contexte où certains écarts de revenus avec leurs employés peuvent être légitimement questionnés.
Salaire minimum, égalité ou équité?
Des études empiriques menées dans différents pays et sur plusieurs périodes amènent l’OIT à affirmer que les systèmes de salaires minimum réduisent les inégalités.
En fixant un salaire pour un certain nombre d’heures de travail, c’est le couple heures de travail et salaire horaire qui est défini. Si l’employeur ne peut pas rémunérer davantage son employé, il limitera le nombre d’heures de travaillées. Le salaire minimum placerait donc les individus sur une même ligne de départ. C’est le concept d’équité. Certains gagneront plus, d’autres moins … dans ce cadre, l’inégalité serait mieux acceptée. Le salaire minimum préserverait l’équité.
Chiffres rassurants, réalités diverses
Qu’en est-il de l’expérience neuchâteloise ? Les partisans genevois du salaire minimum ont relayé les avis de ceux qui ont contribué à sa mise en place à Neuchâtel. Après son introduction, le Conseil d’État de Neuchâtel a relevé que la dynamique de création d’emplois n’a pas été freinée. Entre août 2017 et décembre 2018, le taux de chômage serait passé de 5,3 % à 4,1 %. Aucun effet négatif n’aurait émergé suite à l’introduction du salaire minimum.
De la même manière, en Allemagne, les milieux économiques prévoyaient la catastrophe avant que ne soit adopté le salaire minimum en 2015. A 9,35 euros depuis le 1er janvier 2020, il accompagne maintenant un taux de sans-emploi au plus bas depuis 1990.
Certains seront rassurés par ces exemples. D’autres jugeront que les 3’000 salariés qui ont bénéficié du salaire minimum à Neuchâtel étaient trop peu nombreux pour avoir un impact sur les indicateurs économiques du canton. D’autres aussi affirment que les centaines de milliers de salariés allemands qui ont bénéficié du salaire minimum en 2015 n’ont pas freiné le rouleau compresseur de la compétitivité allemande parce que la période était à l’embellie économique, et que ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Meilleure productivité individuelle et globale?
Des économistes font une corrélation entre le niveau de salaire et la motivation / productivité des salariés. Ils confirment la fameuse théorie du « salaire d’efficience » des économistes Shapiro et Stiglitz : plus le salaire augmente, plus les employés sont motivés et donc productifs. Ils travaillent plus longtemps pour le même employeur et sont davantage fidèles à l’entreprise. C’est à l’avantage de l’employeur car le turn-over (rotation de l’emploi) dans les entreprises a un coût.
À l’échelle macroéconomique, c’est la productivité globale de l’économie qui s’améliorerait avec le remplacement des entreprises productives par celles qui le sont moins.
En période de pandémie avec une économie en récession, miser sur la disparition d’entreprises pour renforcer l’économie dans son ensemble est assez paradoxal. L’ennui pour l’observateur, c’est que le choc de la deuxième vague de la pandémie ne permettra pas de distinguer l’origine des pertes d’emploi : celles qui ont pour origine l’augmentation du salaire minimum et celles qui ont le Covid pour origine. Il sera donc bien difficile de juger de la pertinence de la théorie qui table sur l’amélioration de la productivité globale.
Baisses de revenu au delà du minimum
Il est admis que tous les ménages à faible revenu ne sont pas concernés par le salaire minimum, néanmoins, nombreux sont les ménages pauvres qui le perçoivent.
Le Tribunal fédéral a reconnu que le salaire minimum est un instrument parmi d’autres pour lutter contre la sous-enchère salariale répétée et abusive. Il ne se suffit pas à lui-même. Sur ce point, le chercheur Pierre Concialdi précise que d’avoir un SMIC ne permet pas d’échapper à la pauvreté monétaire, même pour un salarié à temps plein.
Des mutations du marché du travail sont en cours à Genève. Des pans entiers d’activité qui disparaissent dans le secteur de la Banque. Des employés de la “Genève internationale” voient leur rémunération fondre (docteurs avec PHD passent de 12’000 francs mensuels à 6’000 francs). L’offshore et le nearshore contribue à l’évaporation de postes de travail. Malgré le fait que des réalités salariales diverses coexistent et que la fonction publique réussit à maintenir ses avantages, la tendance générale est à la réduction de revenu.
Dans tous les cas, le salaire minimum seul ne permet pas de sortir de la catégorie pauvres. Avec 4’000 francs par mois, vivre à Genève, troisième ville la plus chère du monde, relève du défi. Sans parler de la capacité à épargner…
Salaire minimum et frontaliers de Genève
Au delà des quelques frontaliers qui vont bénéficier de l’augmentation de leur taux horraire, la majeure partie des frontaliers rémunérés bien au dessus du salaire minimum pourront retenir que le salaire minimum, c’est un accroc dans le consensus historique entre les employeurs et les syndicats qui avait si bien contribué à maintenir l’activité économique en Suisse.
L’écroulement de la droite à Genève a créé un vide politique. Il a permis une succession d’initiatives qui ont façonné un environnement économique familier aux frontaliers qui résident en France : une dette publique très importante et une relation conflictuelle entre patronat et syndicats.
Au delà de ces similarités, le salaire minimum a été largement relayé dans les médias hexagonaux. Le “SMIC le plus élevé du monde” a été maintes fois répété dans les journaux télévisés français tout comme l’appel d’air qu’il pourrait créer. Il est en effet probable qu’un SMIC à 4’000 francs incite de nombreux diplômés français à faire le pas et venir proposer leurs services à Genève. L’arrivée de sur-diplômés pour occuper des postes de bas salaires genevois n’a peut être pas été prévu par les initiants. Ces nouveaux frontaliers auront besoin de tact et de patience pour profiter de cette opportunité sans faire valoir trop rapidement leur capacité à gravir les échelons. Commencer par préserver la hiérarchie en place est la condition d’une arrivée réussie dans une entreprise suisse.
Notes :
(1) Sébastien Grobon dans la revue française Regards croisés sur l’économie.
(2) L’Organisation internationale du travail (OIT).
Le Dossier: Salaires en Suisse
https://welcome-suisse.ch/2020/10/salaire_minimum_suisse-17089.html
https://welcome-suisse.ch/2020/01/guide-des-salaires-du-frontalier-12868.htmlh
Le Dossier : Salaire Suisse, contrat, licenciement, chômage et embauche
Salarié frontalier : à quoi correspondent vos cotisations sociales en France et en Suisse?
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