Prendre soin de l’environnement est une nécessité. Mais est-ce pour autant une opportunité économique ? Cela dépendra des prochaines mesures politiques et macroéconomiques prises par la Chine, les États-Unis et l’Europe.
Dans la multitude de projets, d’idées et de débats sur la crise climatique, le sujet de la finance verte est sur le devant de la scène. Est-ce vraiment rentable ? Comment s’assurer qu’il ne s’agit pas de “greenwashing”, c’est-à-dire d’une simple technique marketing qui ne résout rien aux problèmes écologiques ? Est-ce que la finance durable dynamise véritablement la transition écologique ?
Ici, nous présentons la finance verte, aux États-Unis, dans l’Union européenne, en Chine pour identifier les prochaines évolutions et aborder ses effets en Suisse.
Sommaire :
- Qu’est-ce que la finance verte ?
- Les États-unis et la finance verte
- Le paradoxe chinois
- Le futur de la finance verte en Europe
- Les engagements verts de la Commission européenne
- La BCE et la finance verte
- Économie politique – comment orienter la finance ?
- Finance verte, la chance de l’Europe ?
- Qu’en est il de la Suisse ?
Qu’est-ce que la finance verte ?
La finance verte est une notion assez large. Elle regroupe l’ensemble des opérations financières qui favorisent la transition énergétique et luttent contre le réchauffement climatique.
Si certains considèrent que la finance verte est la solution à la transition écologique, d’autres sont plus sceptiques et se méfient des illusions du greenwashing.
Et en effet, pour que la finance verte produise des effets concrets sur le taux de CO2 dans l’atmosphère, il est nécessaire de faire la distinction entre le verdissement de la finance et sa décarbonisation.
Verdir ou décarboner ?
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la priorité ne consiste pas à ajouter des éoliennes mais plutôt à stopper les centrales à charbon. En d’autres termes, ajouter des panneaux solaires et des éoliennes n’est utile que si ces derniers viennent remplacer les unités de production polluantes. Ajouter des activités économiques vertes, sans retirer les entreprises fonctionnant à l’énergie fossile, c’est bon pour le PIB et la production d’électricité mais ça ne change rien au problème écologique.
Plutôt qu’une addition, il faut qu’une substitution s’opère. Il est donc encore plus important de décarboner la finance que de la verdir. Cependant, le coût politique des deux opérations n’est pas le même. S’il est facile de récompenser les bons élèves, désigner les plus polluants est plus difficile. En Europe, la Pologne et la Hongrie bloqueraient systématiquement toute initiative allant en ce sens.
Notons toutefois que le verdissement de la finance est loin d’être inutile. En effet, il permet de maintenir du mieux possible notre niveau de vie pendant la mise en œuvre de la décarbonisation.
Les États-unis et la finance verte
Aux États-Unis, la finance durable a du plomb dans l’aile. Malgré les investissements massifs de l’État, la transition énergétique est difficile dans un pays où l’on supporte mal que le politique s’implique dans l’économie.
À titre d’exemple, de nombreux parlementaires républicains s’insurgent contre les critères ESG qui sont pourtant monnaie courante en Europe. Pour rappel, les critères ESG sont des normes environnementales, sociales et de gouvernance qui permettent de quantifier la durabilité d’une entreprise. Cette quantification doit permettre de créer un jeu d’incitation positive qui permet d’encourager les entreprises les plus vertes.
Les parlementaires anti-ESG estiment que les entreprises privées doivent se concentrer sur leur seul et unique rôle : générer des bénéfices. Alors que le sujet des ESG est restreint aux discussions techniques en Europe, le terme est sur le devant de la scène aux États-Unis. Les opposants les plus extrêmes n’hésitent pas à qualifier la finance durable de “finance woke” et Vivek Ramaswamy en fait même son cheval de bataille pour les élections présidentielles de 2024.
Face à eux, Joe Biden entend utiliser pour la toute première fois son veto présidentiel pour bloquer le texte des républicains. Une mesure d’exception qui montre bien l’importance politique de la finance verte.
L’IRA, la transformation verte avance masquée …
Autre méthode employée par le Président américain et les démocrates pour s’opposer aux républicains sur le plan de la transformation verte de l’économie : L’inflation reduction act (IRA).
L’IRA est une loi qui vise à endiguer la forte inflation américaine mais également à promouvoir l’énergie propre. Les sommes en jeu sont colossales. 369 milliards de dollars sont alloués dans les énergies renouvelables et la lutte contre le changement climatique.
En bref, sous couvert d’une mesure d’urgence contre l’augmentation des prix, il s’agit d’un véritable programme protectionniste contre l’Europe et la Chine.
Le paradoxe chinois
La Chine est actuellement le pays le plus émetteur de CO2 de la planète. Loin devant les États-Unis et l’Union européenne et des années-lumières devant la Suisse.
Le paradoxe, c’est que la Chine est également une superpuissance en matière d’énergie verte. Le pays construit des technologies renouvelables à un rythme effréné. Pékin est leader dans les voitures électriques, les panneaux solaires, les électrolyseurs d’hydrogène ou encore l’énergie éolienne.
Pour ne prendre que le cas de la production d’énergie solaire, on observe que les États-Unis et l’Europe restent à la traîne malgré tous leurs efforts.
En bref, le plus important pour la Chine est de dynamiser son PIB. On est typiquement dans le cas où les énergies vertes viennent s’ajouter aux énergies fossiles sans pour autant les remplacer.
La Chine n’est pas débutante en finance verte. En 2015, la Banque centrale chinoise avait déjà publié des règles d’émission pour les obligations vertes.
Le futur de la finance verte en Europe
Entre la politisation extrême des ESG aux États-Unis et l’impossibilité chinoise de décrocher des énergies fossiles sans plomber son PIB et la crédibilité de son gouvernement, l’Europe semble bien positionnée.
La réussite de la transition écologique en Europe dépend principalement des réformes qui auront abouti au niveau des institutions de l’UE. C’est pourquoi nous allons développer ici, les projets de mesures qui semblent les plus réalistes et intéressantes.
Dans l’Union européenne, les régulations sont opérées par différents acteurs en fonction des compétences de chacun.
La Commission européenne s’est principalement orientée sur deux axes : une taxonomie verte et une modification du calcul du ratio de solvabilité pour les banques.
La Banque centrale européenne élabore également de nouveaux outils pour sa politique monétaire comme le “quantitative easing” décarboné et les prêts verts en monnaie centrale.
Les engagements verts de la Commission européenne
La Commission présidée par Ursula von der Leyen a présenté le thème de l’écologie comme sa priorité première. Son plan, le “Pacte vert pour l’Europe” – Green Deal en anglais, fait référence aux investissements massifs du New Deal de Roosevelt pour réformer les marchés financiers et redynamiser l’économie américaine dans l’entre deux guerres, après la grande crise de 1929.
Au-delà des annonces grandiloquentes, les améliorations se font nécessairement par petites touches concrètes. Au programme de la Commission : une taxonomie verte et une réforme sur les besoins en capitaux propres des banques privées.
Taxonomie européenne
Définir ce qui est “vert” est une lourde tâche. C’est le rôle de la taxonomie verte européenne. Cette taxonomie a déjà été adoptée en 2020 et est entrée en vigueur depuis 2023. Elle permet de dire quelle part des activités d’une entreprise ou d’un produit financier peut être considérée comme verte, c’est-à-dire comme contribuant à la transition écologique.
Les investisseurs pourront ainsi connaître les différents bilans carbones et choisir des placements en adéquation avec les objectifs écologiques.
Plus tard, d’éventuelles aides économiques pourront également prioriser les activités économiques qui possèdent ce label.
Cette taxonomie verte permet de faire la distinction entre les activités économiques vertes et non-vertes. En tant que telle, cette mesure est la pierre angulaire de la politique écologique de l’UE puisqu’elle est le socle des autres projets.
Ratio de solvabilité des banques
Le second projet de la Commission concerne le ratio de solvabilité des banques. Le terme est barbare mais l’idée générale est simple.
Le but est d’obliger les banques à réserver davantage de capitaux propres dans les caisses lorsqu’elles prêtent à une entreprise polluante. Le corollaire est d’abaisser la demande de capitaux propres aux banques qui prêtent aux activités économiques vertes.
Cette mesure a un double objectif : améliorer la solidité des banques tout en pénalisant les prêts aux entreprises carbonées.
La BCE et la finance verte
Si la commission est responsable d’édicter la réglementation de l’Union européenne, la Banque centrale européenne est responsable des politiques monétaires de l’Union. Sa part dans la finance verte est donc primordiale.
Pour ce faire, elle cherche à mettre en place deux outils : le “quantitative easing” décarboné et les prêts vert en monnaie centrale.
Le “quantitative easing” vert
Nous avons eu l’occasion de définir l’assouplissement quantitatif (QE) dans notre article sur la Banque centrale européenne. En bref, c’est une politique monétaire de la BCE qui consiste à acheter massivement des actifs financiers avec de l’argent créé pour l’occasion, afin d’injecter cet argent supplémentaire dans l’économie.
Les actifs financiers achetés sont volontairement issus de tous les secteurs d’activité. Le but est de répartir du mieux possible l’argent injecté dans l’économie.
L’idée du Quantitative Easing vert consiste à utiliser la taxonomie verte pour cibler le rachat d’actifs aux entreprises les plus vertueuses pour le climat. L’effet boule de neige de cette mesure est le suivant : si la BCE fournit des liquidités aux entreprises vertes, le prix de ces dernières va grimper. Les investisseurs privés, qui espèrent voir la valeur de leurs actifs monter, vont donc investir également dans ces entreprises. Et puisque ces entreprises sont rassurées par la présence de la BCE, ces investissements seront considérés comme moins risqués et les taux d’intérêts pour prêter à ces entreprises devraient diminuer.
Le but de la BCE est donc d’initier un mouvement de foule des investisseurs pour stimuler la croissance des énergies vertes.
Des prêts verts en monnaie centrale
Outre le rachat d’actifs (QE), la BCE injecte également de l’argent dans l’économie en prêtant aux banques commerciales. En contrepartie de cet argent, la Banque centrale demande des actifs financiers de qualité aux banques commerciales. Dans le jargon de la BCE, cette opération d’échange est dénommée par l’acronyme LTRO, ce qui signifie : “Long term refinancing operation”.
Pour évaluer la qualité des actifs financiers en question, la BCE utilise une classification appelée : “collaterals framework”.
L’idée des prêts verts en monnaie centrale consiste à verdir cette classification pour donner plus de valeur aux actifs issus d’activité économique verte. Les actifs des entreprises vertes seraient alors plus facilement acceptés par la BCE ce qui encouragerait les banques à détenir ces actifs là, et donc à prêter à ces entreprises particulières.
Les prêts sur les actifs les plus rentables sont déjà à taux d’intérêt négatif. Il faudrait donc que ces nouveaux prêts de la BCE aux banques commerciales se fassent à un taux encore plus négatif.
Pour le dire plus simplement, la BCE paie les banques commerciales pour qu’elles lui empruntent de l’argent. Et elle pourrait les payer encore plus pour emprunter lorsqu’il s’agit de prêter à des activités économiques vertes.
Économie politique – comment orienter la finance ?
Orienter la course du fleuve de la finance n’est pas une mince affaire. Les économistes se disputent sur les meilleures méthodes et le personnel politique peut être paralysé devant l’ampleur du défi.
L’ordolibéralisme des institutions publiques
L’État doit-il intervenir dans l’économie et si oui, comment ? Cette question divise les économistes et le monde politique depuis toujours.
Pour autant, les institutions publiques, de l’Union européenne et de la Suisse, peuvent être considérées comme largement ordo-libérales.
En bref, elles considèrent que l’économie doit s’organiser par les libres marchés. Cependant, les États ont un rôle régulateur et doivent venir corriger d’éventuelles défaillances de marché.
Cette position est critiquée par les deux extrêmes : les non-interventionnistes libertariens et les planificateurs autoritaires.
Critique libertarienne
Les libéraux les plus radicaux souhaitent laisser les prix s’ajuster “naturellement”. C’est par exemple le cas de Vivek Ramaswamy dont nous avons parlé précédemment. Ces libéraux s’opposent par principe à la manipulation des prix par les politiques publiques. Les marchés parfaits sont censés refléter les préférences des acteurs économiques et intégrer les risques. Considérant qu’une main invisible oriente la course du fleuve, la meilleure action consiste à s’abstenir de toute régulation. Les innovations devraient ensuite permettre de développer les technologies nécessaires à un environnement préservé.
Le problème de cette approche tient dans le fait qu’elle considère les marchés comme parfaits et efficaces. Or, en réalité, les marchés sont loin d’être parfaits. Cela est particulièrement vrai dans le cas du changement climatique.
Pourquoi ? Tout d’abord, parce que les craintes et espérances des acteurs se basent sur leur expérience passée et leur perception immédiate. Or, le phénomène du réchauffement climatique est inédit dans l’histoire et ses conséquences arrivent avec un décalage par rapport à nos actions. De plus, les émissions locales de CO2 ont un effet négatif qui dépasse le local, elles ont un effet sur l’ensemble du système global.
Toutes ces raisons expliquent que le coût des externalités négatives n’est pas intégré automatiquement dans les préférences des acteurs économiques. En d’autres termes, l’activité d’un particulier a des effets si décalés et délocalisés sur la collectivité que la chaîne des causes et conséquences en devient floue. C’est par exemple le cas pour une entreprise qui émet beaucoup de CO2 dans l’atmosphère ou qui participe à la pollution des eaux.
Critique des planificateurs
A l’autre extrême, on trouve les planificateurs adeptes d’un État autoritaire. Conscients des défaillances de marché, ils n’ont pas confiance dans les mécanismes régulateurs du système capitaliste. Ils souhaitent planifier l’économie pour éviter les désastres écologiques.
Des écologistes radicaux se situent dans cette mouvance. Leur “amour de la planète” se conjugue avec une “détestation du capitalisme”.
L’économiste prix Nobel Friedrich Hayek et, avant lui Vilfredo Pareto ont montré les limites de la planification. Il est tout simplement impossible pour une unité centralisée, aussi intelligente soit-elle, de réussir à engranger l’ensemble des signaux économiques pour prendre une bonne décision.
Ce chemin mène au totalitarisme où l’efficacité de l’État impose de tout contrôler.
Cette course en avant dans le contrôle peut être excessive comme on peut l’observer dans le régime de Pékin. Néanmoins, une certaine forme de planification a donné d’excellents résultats en France pendant les “30 glorieuses” de l’après 2ème guerre mondiale. Elle est aussi à l’œuvre dans le décollage de la Chine.
Finance verte, la chance de l’Europe ?
Les États-Unis et la Chine investissent massivement dans la transition écologique. Ils ont cependant leurs obstacles internes.
Aux USA, les républicains semblent s’aligner sur une posture libertarienne qui s’inscrit contre la finance durable. En Chine, l’industrie du charbon est considérée comme la colonne vertébrale énergétique du pays et continue de se développer.
Dès lors, il n’est pas étonnant que la commission von der Leyen place l’écologie comme une priorité européenne. Cependant, pour que la transition s’opère véritablement, la Commission et la Banque centrale européenne doivent mener à bien leurs réformes institutionnelles. Elles doivent aussi veiller à ce que les entreprises “vertes” européennes puissent contourner les barrières protectionnistes que les États Unis bâtissent avec l’IRA.
Qu’en est il de la Suisse ?
Au centre de cette guerre des titans, la Suisse peut jouer sa carte de pôle d’innovation et de coopération internationale. Un rôle clé puisque le défi écologique n’est pas uniquement technologique mais aussi éminemment politique.
De plus, la Suisse est reconnue pour son expertise bancaire dans la gestion de fonds. Les portefeuilles devraient progressivement inclure plus de produits financiers verts.
Les individus pourront alors participer à la transition écologique, non seulement pour des raisons éthiques mais également parce que ce sera le choix le plus rentable.
Le sujet de la finance verte est sur le devant de la scène.
Mais est-ce vraiment rentable ? Comment s’assurer qu’il ne s’agit pas de “greenwashing” ? Est-ce que la finance durable dynamise véritablement la transition écologique ?
Nous venons de publier un article « Finance verte – La guerre des titans » afin de répondre à ces questions en explorant les initiatives américaines, européennes et chinoises autour de la finance durable.
Bonne lecture !