La Suisse est particulièrement impactée par la crise énergétique. En moyenne, le prix de l’électricité devrait augmenter de 27% pour les ménages.
Dans notre premier article sur les prix de l’électricité en Suisse, nous avons détaillé les conséquences de la hausse des prix sur les entreprises et les ménages. Nous allons aborder ici la situation en Europe. Haute tension entre les pays européens ? Quelles relations entre la Suisse et l’Europe sur le dossier de l’énergie ?
Sommaire :
- Une stratégie européenne ?
- Des tensions sous-jacentes
- Et à la fin… c’est l’Allemagne qui gagne ?
- Une Commission européenne partiale ?
- L’Union européenne a beaucoup à faire
- Une pénurie de gaz et des prix élevés
- Solidarité Suisse-Europe ?
- La colère populaire
- Au-delà du “quoi qu’il en coûte”
- Notre Dossier : Suisse et Europe
Une stratégie européenne ?
Dans la crise, les députés européens ont de nombreuses fois rappelé la nécessité de faire front commun. Une stratégie globale Européenne aurait permis de faire des économies en achetant le gaz en grande quantité. Elle aurait évité les incompréhensions et les mesures protectionnistes.
Cette volonté commune a été particulièrement malmenée par l’opposition de l’Allemagne à un achat du gaz en commun (elle s’est ravisée depuis). Un autre accroc a été la décision unilatérale de l’Allemagne (comme la France) de mettre en place un bouclier tarifaire pour 2023.
Cette mesure implique un gel des prix pour les consommateurs à un seuil défini, tandis que les fournisseurs doivent acheter le gaz au prix du marché. Les voisins de l’Allemagne jugent que cela donne un avantage compétitif déloyal à l’industrie allemande. Elle se voit reprocher de trop profiter des mécanismes de l’Europe.
Des tensions sous-jacentes
Les tensions liées à l’énergie remontent à loin mais sont particulièrement mises en évidence par la crise. L’augmentation du prix du gaz a tiré vers le haut le coût de production de l’électricité.
Rappelons que l’engagement de l’Allemagne contre le nucléaire aboutit à ce que seules trois centrales y soient encore en fonction. Elles devaient être prochainement fermées. La crise a seulement prolongé leur durée de vie de quelques mois.
Cette décision est maintenant fortement contestée puisque le nucléaire peut apparaître comme une solution aux problèmes d’approvisionnements électriques et environnementaux. Pour produire massivement de l’électricité, les centrales nucléaires restent aujourd’hui l’option avec le moins de rejets de CO2 dans l’atmosphère… et le plus de risque d’émissions de radiations. Ci-dessous, un graphique vous présente le nombre de centrales nucléaires dans l’Union européenne en 2019, selon les chiffres de l’OCDE :
Depuis plusieurs années, l’Allemagne a misé sur le gaz russe et le charbon pour compenser le faible rendement du solaire et de l’éolien. Mais les centrales thermiques de l’Allemagne, leur dépendance à la Russie et leurs rejets de CO2 agacent. L’agacement se transforme en opposition quand Bruxelles prévoit de faire financer l’erreur stratégique de l’Allemagne par les autres pays européens.
Et à la fin… c’est l’Allemagne qui gagne ?
En cette période de Mondial, on pourrait reprendre la formule qui s’appliquait aux équipes allemandes de football il y a quelques décennies. En effet, l’Allemagne semble bien partie pour gagner le gros lot lors des négociations européennes.
Le coût des centrales thermiques est très lié à celui du gaz. Il augmente massivement. La Commission européenne a alors évoqué une taxe pour dédommager les producteurs d’électricité à centrales thermiques.
La solution proposée taxerait les pays utilisant principalement l’hydraulique et le nucléaire au profit de ceux qui doivent se fournir en combustibles. Une taxe qui avantage donc sensiblement l’Allemagne. Or le démantèlement des centrales françaises a été décidé en partie suite aux pressions internationales… la pilule a donc du mal à passer.
Une Commission européenne partiale ?
En conséquence, la Commission européenne est jugée de moins en moins neutre. La présidente Ursula von der Leyen, allemande et ancienne ministre de la défense d’Angela Merkel est particulièrement visée. Ses décisions et propositions particulièrement favorables à l’Allemagne commencent à irriter fortement certains alliés européens.
Dans ce contexte tendu, l’Union Européenne avance néanmoins. Le 30 septembre 2022, l’Union européenne a décidé des mesures d’urgence comme freiner la demande pendant les pics de consommation et la taxation des superprofits des producteurs au bénéfice des consommateurs.
L’Union européenne a beaucoup à faire
L’Union européenne doit donc gérer de nombreux enjeux. Il faut veiller à ce que les prix n’augmentent pas trop pour préserver les ménages et les entreprises. À l’approche de l’hiver, le coût du chauffage doit être abordable.
Il faut aussi apprendre des erreurs passées, penser à long terme, préserver son indépendance et miser sur les énergies les moins polluantes. Enfin, il faut s’assurer à ce que les subventions soient distribuées équitablement et qu’un pays européen ne soit pas lésé vis-à-vis de ses voisins.
Privée d’un fournisseur de gaz majeur, cela fait beaucoup de sujets à traiter. L’une des questions qui continue de se poser reste celle de l’approvisionnement en électricité. L’Europe sera-t-elle en pénurie d’énergie cet hiver ? Combien les contribuables devront débourser pour se chauffer et s’éclairer ?
Une pénurie de gaz et des prix élevés
Les titres des journaux se font moins alarmistes. Les réservoirs de gaz européens sont presque pleins. Aujourd’hui, près de 25% de la production d’électricité provient du gaz et les pays européens n’en manquent pas. Le graphique ci-dessous représente le niveau de remplissage des réservoirs de gaz des pays membres de l’UE au 14 novembre 2022, basé sur les chiffres du GIE et de l’ACER :
Néanmoins, si les réservoirs sont pleins en octobre, ils risquent d’être vides en mars. En première approche, l’urgence ne semble pas être pour l’hiver 2023 mais plutôt pour celui de 2024.
Actuellement, l’Europe n’a pour l’instant pas de difficulté d’approvisionnement en matière de gaz. La demande européenne en gaz est toujours aussi forte et les fournisseurs de moins en moins nombreux. Alors, les prix montent.
Solidarité Suisse-Europe ?
Avant la crise, la fin de l’accord cadre avec l’Europe avait mis en avant le risque de pénurie d’électricité en Suisse. Au vu des désaccords actuels entre les partenaires européens sur le dossier énergétique, on voit mal comment la Suisse aurait pu bénéficier de conditions préférentielles aujourd’hui.
Le marché de l’énergie suisse est partiellement libéralisé. Ses entreprises sont libres de choisir leurs fournisseurs, alors que les ménages dépendent de leurs communes.
Certaines produisent une part du courant qu’elles distribuent, d’autres en achètent la majorité. Inévitablement, pour ces communes, les prix de l’électricité varient dans le même sens que ceux du marché européen. La Suisse ne semble pas être privée d’électricité pour autant mais paiera ses importations plus cher.
Si la consommation d’électricité suisse vous intéresse, nous vous invitons à consulter ce site qui affiche en temps réel l’évolution de la consommation helvétique.
La colère populaire
La Suisse est loin d’être la seule à avoir vu ses prix augmenter. La situation est extrêmement tendue en Angleterre et en Italie. Bien que des aides soient prévues, il est devenu difficile de payer ses factures pour de nombreux travailleurs.
Pour cette raison, des mouvements tels que Don’t Pay et Non Paghiamo sont actuellement menés dans ces deux pays. Ces manifestants demandent une prise en charge d’une partie de leurs factures par l’État et, en attendant, refusent de les payer. Pour l’heure, leurs gouvernements restent sourds aux revendications.
Des mouvements similaires se sont déclarés en France. Des consommateurs ont brûlé des factures devant le siège du géant Engie. Plus inquiétant pour le gouvernement, la grève des producteurs d’énergie nucléaire EDF a obtenu une revalorisation salariale.
Le contexte énergétique a fortement aidé les grévistes à obtenir ce qu’ils voulaient. Au milieu d’une crise énergétique, l’État français ne pouvait pas se permettre de maintenir des centrales nucléaires à l’arrêt plus longtemps.
Au-delà du “quoi qu’il en coûte”
Emmanuel Macron a plusieurs fois pris la parole sur le sujet de l’augmentation des prix du courant, notamment au parlement européen. Il y évoquait les réponses communes européennes à la pandémie de COVID-19 et à la crise financière de 2008.
Pour beaucoup d’États européens, la crise financière et la pandémie rimaient avec une surchauffe de la planche à billets et les déficits. Aujourd’hui, de nombreux États européens sont surendettés. La formule désormais célèbre du “quoi qu’il en coûte” ne pourra pas s’appliquer à l’approvisionnement et aux effets de la hausse des prix du gaz et de l’électricité. Comme lors de la pénurie de masques Covid, la pénurie d’énergie pousse des pays à jouer leur partition en solo.
A chaque crise, certains partis politiques suisses voient dans l’adhésion à l’Europe la solution au problème du moment. D’autres voient se confirmer l’intérêt à préserver la marge de manœuvre suisse. Après la crise du Covid, quel effet aura la crise de l’énergie sur la volonté du peuple souverain d’une plus grande intégration à l’Europe ? Les prochaines élections fédérales de 2023 donneront un début de réponse.
Bonjour,
Nos factures ne sont pas les seules à être impactées par la crise énergétique, les relations entre les puissances européennes le sont aussi. Le contexte difficile met en évidence les tensions entre nations.
Pour répondre à ces questions, ou tout du moins pour donner des pistes de réflexion, nous venons de publier un article « Crise énergétique - Haute tension en Europe ? » qui aborde ces différents points.
Bonne lecture !
L’Europe quand ça arrange