Alors que lentement (trop lentement) le problème de la double affiliation CMU/LAMal des frontaliers se résout, les participants du Forum des Frontaliers ont fait la liste des inégalités de traitement qu’ils subissent sur le plan fiscal et social. Voici un récapitulatif de ces prochaines épreuves : chômage, impôts, écoles. Elles impliquent les administrations françaises, suisses et … l’avis de Bruxelles.
Sommaire :
En France
- Vers l’indemnisation du chômage par la Suisse ?
- Indemnisation du chômage par la Suisse, quel changement ?
- Remboursement de la CSG / CRDS
- CSG-CRDS, le prestidigitateur de Bercy
- Majoration des revenus étrangers
En Suisse
Vers l’indemnisation du chômage par la Suisse ?
Les travailleurs frontaliers cotisent pour l’assurance chômage auprès de leur pays de travail. Dans l’Union Européenne, en cas de perte d’emploi, ils perçoivent l’allocation chômage auprès de leur pays de résidence.
Cette situation est loin d’être neutre pour les finances publiques de certains pays européens. Elle est même source de déficit pour les pays qui « exportent » plus de travailleurs frontaliers qu’ils n’en « importent ». C’est notamment le cas de la France qui est la première exportatrice de frontaliers en Europe. En 2015, selon l’UNEDIC, la France a payé pour 770 millions d’euros d’allocations chômage à ses frontaliers alors qu’elle n’a reçu que 170 millions d’euros de compensation de la part des Etats frontaliers.
Ce mécanisme va être remis à plat. Fin juin 2018, les députés européens devraient voter une loi qui va imposer au pays de travail du frontalier de lui payer les allocations chômage. Cela relève du bon sens, c’est le pays qui perçoit la cotisation chômage qui devrait payer l’allocation chômage. La France ferait ainsi une économie annuelle de l’ordre de 600 millions d’euros.
La Suisse n’étant pas dans l’Union Européenne, les frontaliers suisses ne devraient donc pas être impactés immédiatement par cette décision.
Avec la nouvelle donne européenne, la France pourrait être tentée de faire des économies sur sa branche chômage et demander à la Suisse de prendre en charge, elle aussi, le paiement des allocations aux frontaliers. Cette négociation des accords bilatéraux risque d’être animée parce que du côté suisse, il y a d’autres sujets qui fâchent.
L’indemnisation du chômage par la Suisse, quel changement ?
Si cette négociation aboutit, un frontalier suisse qui perd son emploi serait indemnisé par la Suisse selon les modalités suisses en lieu et place de la France.
A priori, dans la majorité des cas, ce changement serait bénéfique pour les frontaliers car le système suisse d’allocations chômage est un peu plus avantageux que le système français. En effet, côté suisse, en dessous des maximums de 8’645 chf et 9’880 chf, l’allocation chômage est calculée sur la base de 70 % ou 80 % du salaire brut des 6 ou 12 derniers mois alors que côté français elle ne représente que 57 % du salaire brut des 12 derniers mois.
Pour un frontalier, être indemnisé par la Suisse facilitera son inscription à l’ORP (Office Régional de Placement). Cela lui permet de bénéficier des offres d’emploi émises en Suisse. Aujourd’hui, par méconnaissance, peu de frontaliers font cette démarche alors que ce support suisse est un atout majeur pour trouver un emploi.
Encore faut-il que les négociations sur le sujet restent techniques et ne soient pas polluées par des pressions politiques de tous bords.
En France, remboursement de la CSG / CRDS
La France a soumis les revenus du patrimoine des frontaliers aux prélèvements sociaux CSG / CRDS.
En 2015, deux décisions de justice ont interdit à la France de le faire :
- l’arrêt De Ruyter rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 26 février 2015
- la décision du Conseil constitutionnel français du 27 juillet 2015
Tous les frontaliers qui ont payé de la CSG / CRDS en 2013, 2014 et 2015 ont bénéficié des remboursements de CSG / CRDS, qu’ils soient assurés par une assurance privée, par la CMU ou par la LAMal.
A l’époque, la France avait réduit la portée de la décision de la CJUE. Elle avait appliqué un dégrèvement minoré pour les frontaliers assurés par une assurance privée ou par la CMU mais pas pour les frontaliers assurés par la LAMal.
Cela n’a pas suffit pour limiter l’hémorragie financière (320 millions d’euros) des restitutions liées au passé et au manque à gagner pour les années à venir.
CSG-CRDS, le prestidigitateur de Bercy
A partir de 2016, les autorités françaises ont contourné l’arrêt de la CJUE en réaffectant la CSG / CRDS vers des branches du système social français autres que celles liées à l’assurance maladie. La France refuse désormais d’appliquer le dégrèvement pour les prélèvements CSG / CDRS payés après cette date.
Toutefois, ce tour de « prestidigitation » français fait débat. Les associations de frontaliers estiment qu’un lien demeure avec les régimes d’assurance maladie et vieillesse français. La Commission de l’Union Européenne a émis une procédure d’infraction contre la France, et lui demande de s’expliquer.
En jeu, ce sont des millions de « remboursement » pour les frontaliers. La reprise des dégrèvements à partir de 2016 pour tous les frontaliers qu’ils soient assurés par la LAMal ou par la CMU n’est pas une mince affaire … à suivre au cours du 4e trimestre 2018.
En France, la majoration des revenus étrangers
Le contribuable français qui exerce une activité indépendante à l’étranger a l’obligation de majorer de 25% les revenus de cette activité lorsqu’il en fait la déclaration en France.
Le contribuable français peut échapper à cette majoration de 25% si la comptabilité de son activité étrangère est réalisée par un certificateur établi dans un des pays de l’EEE (Espace Economique Européen).
Pour les indépendants français qui exercent leur activité en Suisse, il n’est pas possible de bénéficier de cette exonération car la Suisse ne fait partie de l’EEE. Elle fait partie de l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). Les règles entre l’Europe et l’AELE sont différentes.
Cette différence de traitement a des répercussions importantes sur les finances du frontalier concerné puisque le montant de son impôt sur le revenu ainsi que sa cotisation CMU se retrouvent également majorés de 25%.
En Suisse, la conformité du barème C
Depuis 2014, la prise en compte des revenus du conjoint ont augmenté le taux d’imposition des frontaliers mariés et imposés à la source (cantons Genève, Argovie, Zurich).
Comme le revenu du conjoint est inconnu pour l’administration fiscale cantonale, il est arbitrairement fixé à 65’100 chf / an. L’impôt est rectifié l’année suivante.
Fixer les revenus du conjoint à un tel niveau pose problème :
- dans la majorité des cas, le montant fixé est trop élevé
- la taxation à la source est donc souvent trop élevée
- la rectification de la taxation intervient l’année suivante, le frontalier fait donc une avance de trésorerie au canton
- la rectification pour faire prendre en compte le revenu réel du conjoint n’est pas simple dans tous les cantons
Pour les associations de frontaliers, au regard de la convention fiscale qui lie la France et la Suisse, rien ne permet à la Suisse de prendre en compte les revenus d’un résident français (le conjoint) pour déterminer le taux d’imposition d’un frontalier. Le GTE (Groupement Transfrontalier Européen) a remis ses conclusions au ministre du Budget Gérald Darmanin en mai 2018, en vue d’une action envers la Suisse.
La non-discrimination à l’emploi des frontaliers
Les tensions sur l’emploi des travailleurs frontaliers reviennent sur le devant de la scène, en particulier dans le canton de Genève.
En mai 2018, les prises de positions croisées des représentants politiques locaux illustrent bien cette situation.
Côté français, Antoine Vielliard, maire de Saint-Julien-en-Genevois, constate qu’avant même l’entrée en vigueur de la préférence indigène au 1er juillet 2018, des offres d’emploi suisses écartent les frontaliers.
Selon lui, ces offres d’emploi qui excluent d’emblée la candidature des frontaliers seraient discriminatoires et contraires aux accords bilatéraux signés entre la Suisse et l’Europe. A l’occasion de la journée de l’Europe, l’élu local a transmis 50 de ces annonces discriminatoires à l’ambassadeur de l’Europe à Berne.
Cette démarche du maire de Saint julien a été jugée disproportionnée par la FER (Fédération des Entreprises Romandes) qui souligne par ailleurs que les «faits sont loin d’être établis» et que des mécanismes existent pour traiter les différends.
Côté suisse, c’est le conseiller d’Etat Genevois en charge de l’emploi, Mauro Poggia, qui est monté au créneau à l’occasion de l’implantation de l’enseigne française Décathlon en territoire genevois. C’est plus précisément des doutes sur le potentiel recrutement massif de frontaliers par le magasin qui a mis le feu aux poudres. Mauro Poggia a rappelé le principe de préférence locale à l’embauche, il a indiqué que l’Etat de Genève montrait l’exemple en la matière et que les entreprises privées devraient suivre le même chemin.
Ce climat électrique de part et d’autre de la frontière montre que la préservation de l’emploi frontalier est en permanence à l’épreuve. Notre article de l’année dernière en témoigne que ce soit la préférence indigène, la préférence cantonale, le sujet se maintient en première ligne de l’actualité.
L’accès aux écoles
Comme nous l’expliquions dans notre article sur le système scolaire suisse, de nouvelles directives limitent l’accès des enfants des frontaliers suisses aux écoles genevoises.
Saisie, la Chambre administrative de la Cour de justice vient de se prononcer contre le refus des dérogations demandées auprès du canton de Genève. Les 141 refus enregistrés en 2018 sont annulés. Cela laisse au minimum une année scolaire de répit aux élèves, enfants de frontaliers suisses scolarisés à Genève. Le temps que la justice se prononce sur le fond.
La suite
Comme on le voit, les épreuves à venir ne manquent pas pour les frontaliers.
Par le passé, les frontaliers et leurs associations se sont mobilisés et ont obtenu des résultats. Ces mobilisations ont été longues et difficiles comme celle du CDTF (Comité de Défense des Travailleurs frontaliers du Haut Rhin) contre la double affiliation LAMal CMU. C’est encore difficile pour les frontaliers empêtrés dans les procédures judiciaires françaises.
Espérons que les administrations des Etats concernés apprendront à résoudre rapidement les problèmes des frontaliers. Les frontaliers contribuent quotidiennement à la richesse de nos régions. La complexité de leur situation, tiraillée entre différentes réglementations et législations a davantage besoin d’attention et de pragmatisme que de dogmatisme.
Dans les épreuves passées comme lors de l’audience au Sénat en 2015 contre la double affiliation, et au cours des épreuves à venir, le Forum des Frontaliers et le Blog du Frontalier contribuent à faire entendre la voix des Frontaliers.
Merci aux participants du Forum des frontaliers pour leur travail de collecte des sujets critiques de 2018, ce travail est à l’origine de cet article.
D’autres articles sur ces sujets :
L’école en suisse pour le frontalier
Travailleurs frontaliers : je t’aime … moi non plus
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bel article olivier, mais il manque à mon avis un chapitre sur les banques (emprunts, libor etc…)
@mr341 Merci Michel, pourriez vous nous indiquer en 2 à 3 lignes le message que vous souhaitez communiquer ?
@Thierry prendra alors en compte ces éléments pour compléter ce premier tour d’horizon
Merci Olivier et Thierry pour cet article.
J’ajouterais certains points pour les années à venir:
La question du paiement des cotisations sociales en France pour les frontaliers en activité salariée des 2 côtés de la frontière. Ce point est mal maîtrisé par les entreprises et les citoyens et fait très peur aux entreprises suisses
La décision de la FINMA d’interdire aux assureurs suisses de vendre des assurances privées aux non résidents sans l’autorisation du pays de résidence, ce qui comprend les assurances 3e pilier et complémentaires santé. Nous sommes là à la limite du droit social européen (défaut d’équité face aux assurances sociales non obligatoires) ainsi que de la libre circulation des biens, marchandises et services
L’application de l’aspect libératoire de l’impôt à la source en Suisse, ne permettant plus les rectifications.
L’accès aux soins en zone frontalière, surtout autour de Genève qui voit une offre de soins largement insuffisante, et le fait que la CMU ne couvre pas les frais en Suisse (en théorie oui, si on trouve 1 médecin en Suisse qui accepte d’être payé 25 euros par consultation), et qui ne couvre pas les frais en Suisse des ayants-droits
les emprunts au taux libor dont beaucoup de frontaliers qui ont été lésés par les banques qui n’ont pas respecté les contrats
depuis 2015
la competence de pas mal d’internautes du forum qui ont fait déboucher à la mise en demeure des banques
tout cela est brut de coffrage, je vs laisse le soin de le traduire
Possibilité de combler les années manquantes pour le 1er pilier, pour les Suisses c’est possible, pour les frontaliers non. Discrimination ?
Nicolas,
Tu peux être plus précis svp. Pour le coup je comprends pas trop.
Pour l’instant on peut tjs faire la demande de rectification dans les 3 premiers mois de l’année suivante.
merci pour ton retour.
https://www.frontalier.org/imposition-source-frontalier.htm
LA PROBLÉMATIQUE
Lorsque le frontalier est soumis au barème C, le revenu du conjoint est automatiquement pris en compte afin de déterminer le taux d’imposition à appliquer sur le revenu du frontalier. Le salaire du conjoint est estimé de manière théorique : il correspond au revenu du frontalier imposé à la source jusqu’à un montant maximum de 65 100 francs suisses. Or ce salaire théorique de 65 100 francs est beaucoup trop élevé, puisque le revenu brut moyen en Rhône-Alpes est de 40 676 francs (33 325 €).
Grâce à l’intervention du Groupement au sein de la Commission consultative de l’impôt à la source, le canton de Genève est actuellement le seul à avoir mis en place une procédure permettant de prélever l’impôt à la source au plus proche du revenu réellement perçu par le conjoint en France et de rectifier, l’année suivante, ce prélèvement selon les charges de famille et prenant en compte les revenus bruts réels réalisés par les deux conjoints.
Le projet fédéral prévoit de supprimer toute procédure de rectification du montant de l’impôt, qui deviendrait donc « libératoire ». Il prévoit également la suppression des déductions supplémentaires jusqu’ici admises (le rachat du 2ème pilier, les cotisations du 3ème pilier et les déductions dans le cadre de la famille). Seul le frontalier répondant à la notion de quasi-résident et pouvant établir une déclaration de revenus en Suisse pourrait alors continuer à bénéficier d’une imposition en fonction de sa capacité contributive réelle.