Les frontaliers ont tout intérêt à suivre le débat de la votation du 9 février “Contre l’immigration de masse”. Quelle que soit l’issue du vote, des changements vont suivre, mieux vaut les avoir anticipés.
Les milieux économiques ont fait un tir de barrage contre l’initiative UDC : l’initiative aboutirait à faire exploser les bilatérales entre la CEE et la Suisse. Suivrait une réduction de l’accès au marché européen pour les produits Suisses et la fin de la prospérité.
Au vu des progrès de cette initiative dans les derniers sondages, cette réponse rationnelle n’a pas l’air d’être suffisante. Et si la bonne réponse devait aussi adresser le ressenti, l’affectif et l’irrationnel ?
Le débat sur cette initiative a le mérite d’éclairer des approximations, d’exprimer des craintes, et d’ébaucher des chantiers. De cet échange, on peut prévoir des évolutions du marché du travail et des effets concrets pour les employés résidents Suisse ou frontaliers.
Le ressenti personnel et la macro-économie
Si les chiffres des administrations statistiques confirment les arguments des entrepreneurs et du conseil fédéral. Autour de la machine à café ou à la cantine, les arguments sont bien différents.
La taille du marché
Si votre entreprise exporte, c’est quelle se développe sur le marché global des produits et services. Comme les opportunités demandent de la réactivité, l’entreprise choisira souvent des nouveaux employés déjà formés dans une technologie particulière. Plus le bassin d’emploi est grand, plus grande la chance de trouver la perle rare. Elle va naturellement rechercher de collaborateurs au marché global de compétences. Cela joue en faveur du marché de l’emploi français, allemand ou italien.
Que faire ?
Contre la concurrence d’un bassin d’emploi étendu, l’employé va jouer les cartes de la proximité, la spécialisation et l’employabilité. Il s’agit de prendre les devants, se former et ne pas hésiter à changer d’employeur pour se positionner sur des technologies nouvelles.
A éviter !
N’attendez pas trop le poste qui vous semble destiné depuis des années, si votre employeur exporte, l’arrivée de nouvelles compétences dans l’entreprise est probable. Après l’ouverture d’un nouveau marché, c’est peut être un nouveau venu qui apparaîtra le mieux armé pour le poste convoité. Anticipez, dévoilez vos attentes à votre employeur ! Cela pourra vous donner un coup d’avance et prouver votre compétence avant l’arrivée d’un nouveau collaborateur.
Les salaires à la baisse au Tessin et au Jura
Dans le Tessin et dans le Jura on parle de la pression à la baisse sur les salaires.
Dans les secteurs de l’hotelerie-restauration et de la fabrication mécanique, pour un même travail, le frontalier avec un salaire moindre se verrait préféré à un résident. Si la préférence n’est pas évidente a prouver, il semblerai qu’à travail égal les résidents soient mieux payés, même quand ils sont étrangers.
Que faire ?
Quelle que soit votre métier (menuisier, électricien, mécanicien …), évitez les activités en concurrence sur les prix. Préférez celles où l’innovation est un avantage concurrentiel. La capacité de l’ensemble des employés à créer de la valeur y est plus importante que le niveau des rémunérations.
A éviter !
Eviter les employeurs qui ne clarifient pas leurs critères d’embauche avec l’ensemble du personnel. Cela évite bien des crispations entre frontaliers et résidents autour de la machine à café.
Les informaticiens à Genève
A Genève, il y aurait eu un afflux d’informaticiens français qui aurait poussé vers la sortie des informaticiens locaux. Il y a 20 ans, celui que l’on appelait “informaticien” c’était un généraliste souvent “formé sur le tas”. Aujourd’hui, la profession s’est spécialisée. Elle demande une capacité d’abstraction et de modélisation. A la place “d’informaticiens”, on demande des DBA, des développeurs Java, des architectes etc. Dans ce domaine pointu, la nationalité ne peut pas compenser le manque de technicité.
Que faire ?
Si on n’a pas pris le bon virage technologique a temps, reste à se positionner sur une activité informatique pour laquelle la résidence en Suisse est impérative : la sécurité, l’exploitation, la gestion de données sensibles etc…
A éviter !
Attention aux reconversions vers le management ou la gestion de projet. Il y a quelques années cela pouvait être la bonne stratégie pour le généraliste. Maintenant, la légitimité y est plus difficile a obtenir. Avec les “méthodes agiles” les projets se gèrent bien différemment. Aussi, les “informaticiens” spécialistes de maintenant, ingénieurs ou universitaires de haut niveau ne se gèrent pas comme les “pionniers” d’avant.
La crainte de précarité
Le débat sur l’initiative a fait écho de craintes de précarité.
L’ouverture
Avec l’ouverture de l’économie, pour les entreprises et les employés, la nationalité n’est plus le rempart contre la perte de marchés ou la perte d’emploi. Des entreprises et des employés en sont précarisés.
Des théories économiques considèrent qu’à moins de 5% de chômage, il n’y a pas de problème de chômage. Pour le travailleur de 50 ans sans emploi, il y a un problème qu’il faut vite traiter. D’autant plus dans une Confédération qui distribue l’aide sociale avec mesure à une population qui la sollicite peu.
Que faire ?
L’accompagnement du chômeur se renforce. On note déjà un effort vers davantage d’incitations à l’embauche comme l’allocation d’initiation au travail (AIT) pour les travailleurs qui suivent une formation pour commencer un nouvel emploi. A Neuchatel, pour le chômeur de plus de 50 ans, la prise en charge, par le fonds d’intégration professionnelle, de la cotisation patronale de prévoyance LPP.
On note le souhait de créer des «régions en observation renforcée» comme les branches en “observation renforcée” sur le dumping salarial.
A éviter !
Eviter les erreurs des pays voisins. Des pays voisins se débattent contre le chômage depuis des décennies. Ils ont développé une série de mesures d’accompagnement qui ne sont pas toujours efficaces. En plus de l’exemple, les pays voisins donnent un petit coup de pouce qui pourra aider à financer l’accompagnement du chômeur résident Suisse :
Le coût d’indemnisation du chômeur frontalier est porté par son pays de résidence. La cotisation d’assurance chômage sur un salaire Suisse de frontalier alimente donc l’indemnité pour le chômeur résident en Suisse.
Le choc de réalité
L’entrepreneur, est familier avec le risque porté par son entreprise. Il sait qu’un mauvais choix peut amener de la précarité pour sa société. Pour des employés qui n’ont pas vu venir la concurrence, c’est plus difficile de réagir. Lorsque le choc arrive, on se sent impuissant, exclu de la marche des affaires. Ce sentiment largement répandu dans une Europe avec 12% de chômeurs (Eurostat 12-2012). Il est nouveau en Suisse. C’est aussi ce sentiment qui va être exprimé lors de la votation.
Que faire ?
Plus une économie ouverte est dynamique, plus facilement le demandeur d’emploi doit pouvoir trouver du travail. Encore faut il présenter sa candidature selon les critères attendus par l’employeur. Voir notre article Préparer son CV pour travailler en Suisse.
A éviter !
Eviter de croire qu’une économie ouverte dynamique gomme le risque de la perte d’emploi. Comme ce risque continue toujours d’exister, à l’employé d’évaluer sa valeur ajoutée à l’entreprise et, selon, se préparer à la mobilité. A Genève, un bon début c’est le bilan de compétences du CEBIG qui peut être financé par le chèque annuel de formation . Le même type d’aides existe dans les autres cantons.
La concurrence élargie
Aujourd’hui, la concurrence vient des bassins de demandeur d’emploi de France, d’Italie et d’Allemagne. Des bassins d’emploi plus lointains sont déjà venus concurrencer l’employé de Suisse : services administratifs délocalisés en Europe de l’est ( gestion RH en Tchequie) ou fabrication en Asie. Si la délocalisation de la fabrication de produits innovants en Asie a vite présenté ses limites, celle sur les traitements administratifs de données non confidentielles n’est pas prêt de se tarir. Les prochaines générations d’employés de Suisse auront une concurrence élargie.
Que faire ?
Acter que de chaque coté de la frontière, nos enfants bénéficient de bons systèmes éducatifs et que selon leur choix professionnel, leurs nouveaux concurrents seront aussi brésiliens, indiens chinois très motivés. Mieux vaut les y préparer en les orientant vers des secteurs que l’on prévoit préservés. L’exercice de prospective est risqué. Il convient surtout de cultiver leur capacité d’adaptation.
A éviter !
Le candidat doit éviter de choisir l’entreprise selon les seuls critères de salaire, poste, durée du contrat proposé. Dans un environnement de concurrence élargie, l’employé choisit une entreprise qu’il jugera apte à traverser des périodes turbulentes. Pour choisir, attention aux “mots creux” de la communication d’entreprise ! Par exemple, aujourd’hui, sur le marché global, une entreprise Suisse qui fait de la seule qualité son avantage concurrentiel n’est pas crédible. La qualité hors de prix n’est pas toujours vendable. De la qualité qui dépasse les attentes du client n’est pas pertinente. Mieux vaut être candidat dans une entreprise qui panache qualité, innovation et marketing.
Des chantiers
Le débat sur l’initiative “Contre l’immigration de masse” a ébauché des chantiers nécessaires.
La formation spécialisée
L’apprentissage est une force du système éducatif Suisse. Les entreprises investissent en temps pour une main d’oeuvre qualifiée efficacement intégrée. Mais les entreprises n’ont pas toujours le temps lorsque l’innovation s’appuie sur une rupture technologique. L’entreprise a alors besoin de techniciens supérieurs et d’ingénieurs immédiatement opérationnels sur une technologie particulière, pour filière spécifique. Ce n’est ni l’apprentissage ni les HES ni les EPF qui peuvent produire assez de compétences à court terme. La solution serait un panachage de développement des formations locales, de partage de formations avec l’étranger et … l’embauche transfrontalière.
Le salaire minimum
Si à l’avenir, la Suisse se dote d’un salaire minimum de 4’000 CHF, l’Allemagne de 1’360 € et la France reste sur une base de 1’445 €, ce n’est pas le salaire minimum qui va réduire l’attrait de la Suisse, bien au contraire. Tout au plus il réduirait le dumping salarial sans adresser un autre problème ravageur : le dumping de qualification. En effet pour 4’000 CHF ce sont des sur-diplômés européens qui sont prêts à venir travailler en Suisse. Pour l’employeur, un employé sur-qualifié c’est quelques fois un gage d’évolutivité. Pour l’apprenti, c’est une place future de moins.
Un minimum vital multiplié par presque 3 à quelques kilomètres de distance, cela rappelle les débats sur le tourisme d’achat. Les médias communiquaient largement sur des différences de prix qui ne se justifiaient pas par la qualité ou la charge d’apprentissage mais plus par la marge des importateurs, des distributeurs, les honoraires de professions libérales. C’est peut être là aussi que va se jouer une partie de l’ajustement nécessaire, en veillant à éviter la déflation.
Le besoin d’investissement
Pierre Maudet, conseiller d’Etat de Genève estime que les cantons n’ont pas adapté suffisamment leurs infrastructures dans le logement et les transports.
Des contributions des multinationales étrangères basées à Genève et de leurs employés (plus de 1 milliard de francs), il propose d’en réinvestir davantage dans les infrastructures.
Compte tenu de la situation actuelle dans le domaine des transports, soyons certains que des changements radicaux seront activés avant le résultat de ces investissements : comme dans d’autres pays, on peut prévoir des contraintes sur les employés qui se rendent seuls en voiture au travail.
Quel que soit le résultat de la votation du 9 février, l’initiative “Contre l’immigration de masse” a lancé un débat de fond. A lui seul, il a déjà entraîné des modifications du marché du travail Suisse (mesures contre le dumping salarial). Des changements importants viendront, il va falloir les suivre avec attention de chaque côté des frontières.