La Suisse dit non au RBI, la France l’a presque fait !

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Votation Suisse RBILes Suisses disent non au RBI

Avec un taux de participation de 46%, les Suisses ont rejeté à 76.9% dimanche 5 juin la création d’un revenu pour tous, dit Revenu de Base Inconditionnel (RBI) Derrière ce non massif et prévisible, le texte a eu le mérite de poser les bases d’un débat sur des questions clés comme les mutations qui affectent le monde du travail.

Parce qu’il travaille en Suisse tout en résidant en France, le frontalier peut se sentir éloigné de ce débat. De prime abord, le RBI concerne d’autres couches de la population : étudiants, jeunes non qualifiés… Bien au contraire, on s’aperçoit que sa mise en place touche à des questions sensibles comme la fiscalité, le niveau et l’existence des prélèvements sociaux. En France d’ailleurs, le RSA n’en est pas si éloigné dans sa philosophie.

Le contexte de la votation

La question posée aux Suisses lors de la votation trouve son origine dans le mouvement d’initiative populaire du 4 octobre 2013 qui a réuni 126 000 signatures (1.6% de la population Suisse) Le texte proposait de modifier la constitution en insérant, notamment, un article stipulant que “la Confédération veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel”. L’assemblée fédérale recommandait de rejeter cette initiative.

La Suisse est le premier pays à tenir un référendum national sur l’idée d’un revenu de base garanti à chacun, mais d’autres pays, comme la Finlande, étudient des projets du même type.

D’après les partisans de la mesure, le Revenu de Base Inconditionnel (RBI) est «une rente mensuelle, suffisante pour vivre, versée individuellement à chaque personne, de la naissance à la mort, quels que soient ses autres revenus ou sa fortune», avec pour objectif d’éradiquer la pauvreté.

Aucun montant et aucun mode de financement n’est proposé dans ce texte. Les modalités découleront d’un choix ultérieur. “Génération RBI” défend cette imprécision en expliquant “qu’une constitution est faite pour y introduire des principes, pas des règles précises”. Et d’ajouter, ”les principes, les grandes idées rassemblent. C’est les détails qui divisent”.

Les arguments en faveur du RBI

La révolution numérique et la robotisation augmentent mécaniquement les taux de productivité. Les hommes pourraient donc se concentrer sur des activités avec un contenu offrant davantage de sens à leur existence.

La mise en place du RBI simplifierait également la vie quotidienne en supprimant plusieurs échelons administratifs (suppression de la déclaration d’impôt, simplification de la fiscalité…) Les concitoyens se sentant davantage sécurisés dans leur parcours de vie, le système stimulerait l’esprit d’entreprise. Au final, mettre en place le RBI assurerait la pérennité du système économique et lui conférerait plus de stabilité.

Il existe plusieurs propositions pour financer la mise en place d’un tel dispositif : le RBI se substituerait aux prestations sociales et à une partie des taxations sur la valeur ajoutée. La création monétaire ou l’instauration d’une micro taxe sur l’ensemble des transactions électroniques (de l’ordre de 0.2%) viendrait compléter le solde. La question n’est pas tranchée.

Le mouvement suggère une mensualité de 2 500 francs par adulte et de 625 francs pour les mineurs, à tous les Suisses et aux étrangers vivant dans le pays depuis au moins cinq ans, qu’ils aient ou non déjà un emploi. Les montants sont à relativiser. D’après l’OFS (Office de la Statistique Suisse), le salaire médian Suisse (50% gagent plus et l’autre moitié gagne moins) s’élève à 6 189 francs en 2014. Ce revenu minimum représenterait environ 40% du salaire médian.

En France, l’Insee a établi le salaire net médian à 1 772 euros en France pour 2013. Le montant du RSA pour une personne seule s’élève à 525 € fin 2015. Le socle de revenu minimum représente donc déjà 30% du salaire médian ! Et le RSA n’exclut pas les prestations sociales ou les aides au logement.

Les arguments du non

Le Conseil Fédéral estime que la mise en place du RBI aurait un impact désastreux sur la compétitivité, diminuerait la performance économique et mécaniquement les rentrées fiscales de la Suisse. La mesure conduirait donc à affaiblir l’Etat qui aurait moins de ressources à allouer aux secteurs vitaux : protection de l’environnement, services sociaux, police, armée…

La mise en place d’un tel dispositif pourrait désinciter à travailler les personnes officiant dans les secteurs à bas salaire : l’exercice d’une activité lucrative ne vaudrait plus la peine sur le plan financier.

Autre argument de poids, le fait qu’il faille dans certaines situations, un soutien financier allant au-delà du revenu de base. Pensez au coût d’un traitement anti cancéreux, des mesures  d’accompagnement d’une chaise roulante… Il faudrait de toute façon conserver tout ou partie du système de sécurité sociale actuelle et le coordonner avec le RBI.

Trop complexe à mettre en œuvre, le système pourrait rapidement se trouver déstabilisé, alors qu’il a fallu des décennies pour consolider les acquis sociaux actuels.

Le revenu universel : une idée aux racines anciennes

Il existe deux généalogies distinctes de l’idée d’un revenu universel : une ancrée dans la tradition libérale, l’autre ancrée à gauche.

La première tradition part du principe que chaque individu doit pouvoir affronter les aléas de l’existence en partant d’une même base. Ce plancher commun garanti l’équité des chances et permet à chacun d’exprimer ses propres mérites. Une question essentielle divise ce courant : quel sort réservé aux prestations sociales issues des prélèvements sur le travail (chômage, maladie et retraite) ? Certains pensent nécessaires de conserver le filet de Sécurité Sociale tel qu’il existe, comme le Think Tank Génération Libre. D’autres courants de pensée estiment que le versement de l’allocation universelle peut conduire à confier à des institutions privées des prestations qui auraient été gérées par l’administration normalement. Par exemple, la Sécurité Sociale dont la mission serait remplacée par des contrats souscrits auprès d’assureurs privés.

La France a fait la moitié du chemin

Issu du siècle des Lumières, la deuxième tradition part du principe que tout individu participant, d’une façon ou d’une autre, à la création de la richesse commune, celle-ci doit être partagée entre tous et distribuée à chacun selon ses besoins. Le réseau mondial «Basic Income Earth Network» (BIEN) fondé en 1986 et le «Mouvement français pour le revenu de base» (MFRB) promeuvent ces idées.

Ce courant de pensée a inspiré en France la création du Revenu Minimum d’Insertion (RMI), devenu Revenu de Solidarité Active (RSA) en 2009. Contrairement au RBI, il faut être âgé d’au moins 25 ans pour le percevoir. Il cristallise périodiquement l’attention de l’opinion, des médias et des politiques en suscitant des débats passionnés dans lesquels on oppose valeur travail et assistanat. Certains proposent de conditionner le versement du RSA à l’exercice du bénévolat.

RSA à 10 Milliards, RBI à 25 Milliards ?

Le RSA n’est pas le RBI. Le RBI est inconditionnel, le RSA est conditionné par l’âge. Néanmoins,  sa fonction de répartition et de redistribution présente de fortes similarités avec le RBI. Le RSA serait à mi-chemin du RBI.  Cette différence les rapproche d’autant plus : Le RSA est mature, il a évolué, le RBI en est encore au stade du concept. Il n’a pas encore subi les coups de rabots budgétaires et les resserrement des critères d’attribution qui accompagnent habituellement la mise en œuvre.

Selon le Comité National d’évaluation du RSA, ce dispositif coûte 10 Milliards d’Euro par an. Selon le Conseil Fédéral, le projet du RBI présente des lacunes de financement. Le trou à combler serait de l’ordre de 25 milliards de francs.

Donnez votre avis !

Le question du RBI est complexe, tant dans sa définition que ses modalités d’application. Le référendum Suisse a permis de mettre sur la table des sujets qui affectent tous les citoyens européens : mutations qui affectent le monde du travail (numérisation, robotisation…), avenir de l’Etat social, fragilités de certaines strates sociales (étudiants, jeunes non qualifiés), valeurs attachées au travail, démographie…

Et vous, si la question du 5 juin dernier vous est directement posé, que voteriez-vous ?

  • L’Etat veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel
  • Le revenu de base doit permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique
  • La loi règle notamment le financement et le montant du revenu de base
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