Signée le 11 juillet 2013, la nouvelle convention fiscale sur les successions entre la France et la Suisse mécontente de futurs héritiers français de personnes domiciliées en Suisse.
Certains d’entre eux seraient prêts à s’exiler pour échapper à l’impôt.
« La France s’est tiré une balle dans le pied, voire plusieurs », a déclaré à l’AFP la députée française Claudine Schmid (UMP), représentant les Français vivant en Suisse et au Liechtenstein.
Un accord controversé qui revient sur 60 ans de pratiques, afin de satisfaire surtout les demandes françaises.
Les changements de la nouvelle convention
Depuis 1953, c’est le lieu de résidence du défunt qui déterminait l’impôt.
Les héritiers bénéficiaient même de taux de succession favorables suisses, lorsqu’ils héritaient des biens immobiliers par l’intermédiaire d’une société civile immobilière (SCI) située en France. Les parts de SCI n’étaient pas taxées en France.
La nouvelle convention entraîne des modifications importantes au nombre de trois :
1. Sociétés immobilières
Les biens immobiliers détenus indirectement au travers d’une société sont imposables au lieu de situation de ces biens.
Exemple : lorsqu’une personne (quelle que soit sa nationalité) réside en Suisse et possède un bien immobilier en France via une société, ce bien est imposé en France lorsqu’elle décède.
Cette imposition ne s’applique toutefois que si le défunt, respectivement sa famille, détient au moins la moitié de cette société et que les immeubles représentent plus du tiers de l’ensemble des actifs de cette société.
Exemple : une société détenue par un défunt en Suisse à hauteur de 50% possède des immeubles en France. Si cette composante immobilière est inférieure à 33%, les biens immobiliers situés en France seront imposables en Suisse.
2. Domicile de l’héritier
Lorsque les héritiers d’une personne domiciliée en Suisse vivent en France au moment du décès, les héritiers sont imposés en France, à condition d’avoir résidé en France au moins huit ans sur une période de dix ans précédant l’année au cours de laquelle ils reçoivent les biens.
A noter qu’en l’absence de convention, ce délai serait de six ans sur dix ans, selon le droit français actuel.
La France doit toutefois déduire les impôts éventuels que les héritiers paient d’abord en Suisse. Ni la souveraineté fiscale de la Suisse ni celle des cantons ne sont touchées.
3. Biens meubles corporels
La France peut imposer des biens meubles corporels situés en France et détenus par un défunt domicilié en Suisse.
Actuellement, la convention se limite aux « meubles meublants » (tables, lits, tableaux, etc.).
La nouvelle convention élargit l’assiette d’imposition: les lingots d’or, les bijoux ou les pierres précieuses sont par exemple soumis à taxation.
Les biens incorporels, tels que les titres financiers ou les comptes bancaires, ne sont cependant pas imposés dans ce cas de figure.
Pour mieux comprendre voici une mise en situation
Avec la nouvelle convention, lorsque M. Dupont dont les enfants vivent en France, décède à la Tour-de-Peilz (VD), la masse successorale s’acquitte en Suisse d’un impôt successoral d’un montant déterminé par le canton de Vaud .
Le fisc français estime alors ce qu’il aurait prélevé si M. Dupont était passé de vie à trépas en France et récupère aux héritiers résidant en France la différence afin de s’assurer que, globalement, ceux-ci sont assujetti à un taux similaire à celui de toute personne mourant en France.
Ce genre de convention de double imposition (qui porte très bien son nom) existe déjà avec les États-Unis qui n’hésitent pas à taxer leurs citoyens à l’étranger.
La France ouvre une nouvelle brèche très importante en imposant toute personne en fonction du domicile, quelle que soit sa nationalité.
Les héritiers domiciliés en France d’un résident suisse pourraient donc être soumis à l’impôt français sur les successions.
Les plus gros patrimoines se verraient ainsi taxés à 45% sur un héritage en ligne directe, contre 7% au maximum en Suisse (dans le canton de Vaud).
Autrement dit, les Français qui choisissent de s’installer en Suisse et dont les enfants vivent en France devraient acquitter les droits de succession français.
La France rétrocédera sa part au canton concerné, part qui varie entre 0% et 5% selon la fiscalité cantonale en vigueur.
Pourquoi une nouvelle convention ?
La France voulait une modification de l’accord de 1953 et l’avait annoncé dès l’été 2011.
Et si aucun nouvel accord n’était trouvé, on se dirigeait vers une double imposition des successions : les Suisses auraient imposé la succession selon la résidence du défunt, la France selon la résidence du bénéficiaire.
Ce qui est plus troublant, c’est la concomitance de ces négociations avec les échanges sur le règlement du conflit fiscal entre les deux pays. Peut-être n’est-ce qu’un hasard de calendrier, mais cela a sans doute joué un rôle dans les discussions.
Du côté de la Suisse, la pression est intense. En cas de désaccord, le pays pourrait se retrouver sur la liste noire de l’OCDE, dans la catégorie des pays non-coopératifs. Accepter cet accord en négociant des contreparties et des concessions était crucial.
Mais l’élément qu’on n’attendait pas et qui se révèle comme le plus important a trait à l’adoption d’un protocole additionnel sur l’entraide administrative.
En clair, cela signifie que la France pourra, sur le modèle de l’accord passé par Berne avec Washington au sujet d’UBS, adresser des «demandes groupées» aux autorités helvétiques, de façon à connaître l’identité de détenteurs français de comptes en Suisse.
Ces requêtes devront être motivées juridiquement, Paris devant autant que possible démontrer que les établissements suisses visés ont prêté la main à un système illégal facilitant l’évasion fiscale.
L’inquiétude des héritiers français de biens suisse augmente
En effet, avec le nouvel accord franco-suisse, le système des sociétés civiles immobilières (SCI) s’avérerait caduc comme nous l’avons vu ci-dessus. Dans les deux cas, les répercussions pourraient être fortes.
Certains Suisses vendent déjà leurs biens immobiliers en France par anticipation. Un phénomène s’intensifiant depuis l’élection de François Hollande et de ses réformes sur les successions et sur l’impôt de solidarité sur la fortune
La résistance s’organise
L’accord a été signé par les deux gouvernements. Il faut désormais le faire ratifier par les deux parlements.
En France, cela ne posera guère de problèmes.
En Suisse par contre, l’opposition semble forte contre le projet. Eveline Widmer-Schlumpf devra peser de tout son poids pour le faire adopter, afin d’éviter que la Suisse ne se retrouve au ban des nations, pointée du doigt par l’OCDE.
C’est au niveau des cantons qu’une opposition plus nette pourrait surgir. C’est pour cela que l’accord prévoit un maintien des systèmes de taxation en vigueur (entre 0 et 7%), avec une imposition cantonale suisse qui serait déduite de la taxation en France (20 à 45% en ligne directe).
Sauf qu’au final, cette convention va avoir des répercussions sur les citoyens suisses eux-mêmes.
En plus du manque à gagner pour l’Etat helvétique qui risque de voir de nombreux Français retraverser la frontière, ou même s’installer en Belgique, les Suisses résidant en France devront désormais payer des droits de succession sur la maison qu’ils hériteront de leurs parents.
« Le Conseil fédéral a signé cette convention sans consulter les cantons: c’est bafouer le fédéralisme », a critiqué, de son côté, Catherine Labouchère, une élue libérale du canton de Vaud.
Les frondeurs ont demandé au Parlement suisse de ne pas ratifier cette convention sous menace de lancer eux-mêmes un référendum cantonal sur la question.
Il faudrait alors qu’au moins huit cantons le réclament. « Aujourd’hui nous sommes sept, les six cantons romands et le canton de Berne. Nous sommes convaincus que nous trouverons au moins un canton alémanique » supplémentaire, a calculé Philippe Nantermod du PLR, le Parti des libéraux-radicaux.
Alain
N’est-ce pas un amalgame de mélanger liste grise OCDE et relation franco-suisse sur les successions ?
Margaux Mauger
Repasser en liste grise aurait pu être une fatalité selon plusieurs experts.
En effet dans le contexte actuel de chasse aux sorcière en terme de fiscalité la pression des pays sur la suisse est importante.
Si la suisse n’avait pas signé elle pouvait effectivement se retrouver sur la liste des pays dit « non coopératifs » (cf analyse Avocate fiscaliste et auteur de «Exil fiscal, mythes, fantasmes et réalités», Manon Sieraczek-Laporte)
Margaux Mauger
A noter, de plus, que si la Suisse n’avait pas ratifié cette nouvelle convention la France aurait de façon très probable dénoncé unilatéralement l’accord de 1953.
Robert
Merci pour ces explications qui sont les bienvenues dans cette athmosphère où les informations sont plus que difficiles à déchiffrer.
Olivier
J’aimerais savoir si cet accord concernant entre autres les droits de succession, fera une distinction entre le résidant suisse frontalier qui habite en France mais qui travaille en Suisse (et qui du coup réside fiscalement en suisse) et le résidant suisse qui travaille en France? J’ai toujours entendu dire que dans le cas de frontaliers, on était imposé sur son lieu de travail et non sur son lieu de résidence. Ceci s’appliquerait-il dans ce cas aussi?
Pat
Quelqu’un sait il quand la ratification de l’accord sera soumis au parlement CH?
VDA
Bonjour,
Le Conseil Fédéral suisse a adopté le message relatif à la Convention sur les successions franco-suisse le 4 septembre 2013, à l’attention des Chambres fédérales.
Cette convention entrera en vigueur après approbation par les Parlements respectifs des deux Etats et une fois le délai référendaire expiré en Suisse (i.e. 100 jours).
La France a renoncé à demander l’application de ce texte à compter du 1er janvier 2014.
Cordialement,
VDA