Troisième industrie suisse d’exportation après celles de la chimie et des machines, le secteur marque le pas depuis quelques mois, conséquence notamment de la contraction du marché chinois.
Après des années de croissance florissante, des vents contraires, multiples et imprévisibles, soufflent sur le secteur.
Retour sur les dernières tendances d’une industrie, à l’évidence, en plein doute, après une décennie d’âge d’or.
Une industrie tournée vers l’exportation…
L’horlogerie suisse est présente sur les cinq continents en y exportant environ 95% de sa production, la répartition géographique des ventes n’est pas uniforme pour autant.
Pour donner un ordre d’idée, d’après la Fédération de l’Industrie Horlogère Suisse, l’Asie absorbe environ 53% des exportations horlogères suisses en valeur, l’Europe 31% et l’Amérique 14%.
Depuis 2000, l’industrie connaît un âge d’or porté par le boom économique chinois.
… qui souffre (entre autres) du ralentissement asiatique
Les premiers signes de ralentissement à l’exportation apparaissent en 2014.
Le consommateur chinois, plus gros acheteur de bien de luxe dans le monde (Chine, Hong Kong et “travel retail”) apparaît comme le premier responsable du problème. Hongkong, qui sort d’une décennie de croissance record, subit logiquement la plus forte correction.
La campagne anti-corruption lancée en 2013 en Chine a amplifié le phénomène : les montres de luxe n’ont plus la côte auprès des notables – trop visibles contrairement au Cognac ! S’ajoute à cela le ralentissement de la croissance en Chine que les marques horlogères n’ont pas su anticiper.
Les choses ne devraient pas s’améliorer en raison des problèmes du “travel retail” en Europe. Typiquement, il s’agit du touriste chinois ou japonais qui vient acheter dans les grands magasins parisiens : ils représentent la moitié des clients ! Le climat anxiogène, post-attentat, et les images tournant en boucle dans les médias locaux (émeutes, violences urbaines, grèves…) ne vont pas faciliter leur retour…
A cela, vient s’ajouter les difficultés au Moyen-Orient sur fond de baisse des revenus tirés du pétrole. Cette dernière raison pénalise également la clientèle russe.
Concernant les dernières tendances d’avril 2016, la situation ne s’améliore pas : la valeur des exportations a reculé de 11,1% par rapport à avril 2015. Sur les quatre premiers mois de l’année, la baisse indique -9,5%.
Les montres en métaux précieux (montres de plus 3 000 francs) ont été les plus affectées en avril.
… et d’un taux de change défavorable.
Sur 10 ans, le franc suisse s’est apprécié de 30% par rapport à l’euro. Grâce à sa capacité à répercuter l’augmentation des prix, notamment dans le segment haut de gamme, le secteur horloger suisse a bien surmonté les difficultés liées à la force du franc suisse, à l’instar des grandes marques du luxe (spiritueux, maroquinerie..). En effet, d’après le cabinet Deloitte, le prix moyen à l’exportation d’une montre-bracelet suisse s’élève à 730 francs, contre 27 à Hong Kong et 7 en Chine !
Cependant,il semble que nous ayons à présent atteint un seuil critique, en particulier dans les segments milieu et bas de gamme. D’autant plus qu’un nouveau genre de concurrence, jusque là ignoré, a fait son apparition.
Montres connectées : menace ou opportunité ?
On constate que le segment des montres vendues à prix identiques à celui des montres connectées (500 à 1 000 francs) souffre particulièrement. Rares sont les groupes à avoir compris qu’il fallait réagir vite et mettre ce sujet au coeur de ses préoccupations stratégiques.
Swatch, à travers ses marques Tissot et Longines, paraît le plus exposé. Le groupe a lancé sa première montre connectée fin 2015. Mais les fonctionnalités de cette celle-ci se limitent à donner l’heure et au paiement sans contact (NFC) ! A l’évidence, cette montre ne chasse par sur les mêmes terres que l’Apple Watch.
Tag Heuer (propriété du groupe de luxe français LVMH) est l’une des rares marques à avoir réagi en commercialisant sa première (vraie) montre connectée l’automne dernier, en partenariat avec les américains Google et Intel.
Le dilemme des fabricants en 2016 se résume à cette unique question : accompagner une mode qui peut devenir la norme ou ne rien faire, au risque de détruire progressivement de la valeur (d’entreprise) dans quelques année et venir alimenter la longue liste des cadavres et moribonds de la nouvelle ère numérique (en vrac : Kodak, Virgin Megastore en France, Pages Jaunes…)
Des conséquences visibles au niveau de l’emploi
A l’instar de Fort McMurray au Canada, l’industrie horlogère se trouve confrontée à une multitude de départ de feux. Pris isolément, chaque incendie est gérable. C’est leurs conjonctions qui posent problèmes. Il faut s’attendre à des plans sociaux.
Ainsi, le groupe genevois Richemont (Cartier, Vacheron Constantin, Piaget et Montblanc) a mis en place un plan d’ajustement de ses capacités de production et a déjà supprimé 500 postes de travail en Suisse depuis le début de l’année 2015. Le changement de tendance est très brutal. La priorité consiste à faire correspondre Sell-In (ventes aux détaillants) et Sell-Out (ventes au clients finaux) afin de résorber les stocks.
Certaines catégories de travailleurs paraissent plus exposées. Depuis 2000, rien qu’à Neuchâtel et dans le Jura, le nombre de frontaliers étrangers travaillant dans la fabrication de produits horlogers, informatiques ou électroniques a triplé, respectivement de 964 à 3 286 et de 628 à 1 757, selon l’OFS (Office Fédérale de la Statistique) La Chambre Neuchâteloise du Commerce et de l’Industrie (CNCI) reconnaît que la possibilité de compter sur un grand réservoir de main-d’œuvre étrangère (sous-entendez française) a permis à l’industrie horlogère de rester compétitive.
L’un dans l’autre, les conditions d’expansion de l’industrie horlogère suisse dans les années 2000 ont donc globalement favorisé, en terme d’emplois, le travailleur frontalier et ses nombreux sous-traitants français.
2016, année charnière, va t elle sonner la fin du mythe ? Celui d’une industrie bercée par une décennie dorée, entre boom chinois et émergence d’une classe de très riches capables de dépenser sans compter dans les articles les plus haut de gamme de l’industrie du luxe en général et de l’industrie horlogère suisse en particulier.
Pensez vous ce retournement conjoncturel ou structurel ? Si vous travaillez dans ce secteur, quel est votre ressenti et votre expérience vu de l’intérieur ?
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